Ça a commencé ainsi :

Circe n'est qu'une petite fille pas plus haute que trois pommes qui se cache dans les jupes de sa mère tandis que cette dernière accueille chaleureusement ses invités pour célébrer l'aïd. Une femme magnifique, parée d'un voile élégamment drapé autour de sa tête, attire Amani dans une étreinte familière – et Circe se retrouve face à face avec un garçon qui a l'air bien plus vieux qu'elle. Le garçon doit se pencher un peu pour la regarder dans les yeux, et il lui offre un sourire tellement amical que la petite fille ne peut s'empêcher de le lui rendre timidement. Leurs mères se chargent des présentations ; il s'appelle Idriss Khaldun, il a onze ans – six ans de plus qu'elle, il entre à Poudlard lors de la rentrée prochaine, n'est-ce pas fantastique ? Elle est curieuse, la petite, alors elle commence à poser des question – est-ce qu'il a déjà une baguette ? Et sa liste de fourniture scolaire, l'a-t-il déjà reçue ? Et quelle maison veut-il à tout prix rejoindre, et laquelle déteste-t-il d'avance, et est-ce qu'il sait comment les élèves sont répartis ? Il est gentil, Idriss, patient et chaleureux, et c'est le seul ''grand'' qui daigne lui accorder un peu d'attention à elle, la plus jeune de cette petite réception. Il ne la traite pas comme si elle était stupide ou agaçante ; à la place, il lui apprend un peu à danser, et il lui donne des sucreries lorsque mère à le dos tourné. Elle est un peu triste de le voir partir, lorsque les invités rentrent chez eux, mais mère lui assure qu'elle le reverra l'année prochaine – peut-être même avant ; madame Khaldun est une grande amie de la famille, après tout.

(( ils deviennent les meilleurs amis du monde et un excellent prétexte pour que leurs mères puissent se voir plus souvent. Idriss est fils unique et trouve en elle la petite sœur qu'il n'a jamais eu ; Circe est l'aînée de sa fratrie et trouve en Idriss une bonne excuse pour se comporter comme une enfant, plutôt que comme le modèle de maturité et d'excellence qu'elle est censée montrer à ses petits frères ingrats. Elle apprend à lire et à écrire très vite juste pour pouvoir lui envoyer des lettres et lire ses mésaventures à Poudlard ; il lui rend visite à chaque vacances scolaires. Il devient 'Dris, elle devient Sissy. Ils ont un handshake secret, un QG dans le grenier et des blagues qu'eux seuls comprennent. À chaque fois qu'il repart elle déprime un peu ; c'est que les couloirs de la demeure semblent bien vide sans lui, et que ses propres frères ne semblent voir en elle qu'une rivale plutôt qu'une sœur. Et ils sont pourris-gâtés ; elle ne les aime pas beaucoup. Elle grandit à peu près normalement, grâce à lui – il éloigne la solitude qui gèle ses os. Bon, c'est aussi à cause de lui qu'elle apprend à dire des flopées de jurons un peu trop tôt, mais ce n'est qu'un détail. ))

l'excellence, ce but à atteindre afin de ne pas souffrir des conséquences douloureuses de l'échec ; scolarité brillante chez les Serdaigle, Circe se doit de faire honneur à son nom, son rang. Poudlard devient un refuge où le regard critique père ne peut l'atteindre, et pourtant – elle a l'impression de sentir ses yeux pesant de jugement partout où elle va, à chaque décision qu'elle prend. Elle n'a aucunement confiance en ses frères, certaine qu'ils pourraient trahir la moindre de ses erreurs dans le but de remonter dans l'estime du paternel – parce qu'elle-même y pense, parfois, en voyant ses cadets s'épanouir dans une direction que leur père n'approuverait pas. Elle se contente de leur faire savoir qu'elle a vu, mais qu'elle ne dira rien, songeant qu'ils auront peut-être l'impression d'avoir une dette envers elle, et qu'il garderont silence sur ses propres erreurs. Cette technique semble fonctionner, et Poudlard devient un terrain neutre pour cette fratrie désunie ; la compétition martiale entre eux devient une rivalité plus saine, les paroles acides s'adoucissent loin du regard paternel. Elle découvre qui sont ses frères lorsque le poids des attentes s'allège, et elle se découvre elle-même, s'ouvrant au monde et profitant d'une liberté dont elle ne jouit pas à la maison. Elle veille malgré tout à se constituer un entourage approuvé par sa famille, et travaille d'arrache-pied pour obtenir des notes faisant pâlir de jalousie ses cadets. Elle se révèle naturellement talentueuse en sortilèges et en étude des runes, sa rigueur et sa créativité se mêlant à merveille dans ces matières.

(( « tu garderas silence ? » regards méfiants et ton boudeur. Petit frère qui veut jouer les grands. « ça dépend, j'y gagne quoi ? » indifférence feinte de l'aînée, leur cœur battant de nervosité ; un soupir agacé, un silence songeur. « bon, d'accord – je dirai rien, pour ta copine. » le sang glacé dans les veines de la jeune femme. Tension insoutenable qu'elle rompt par un claquement de la langue : « promis ? » qu'elle demande ; des yeux sombres levés au ciel : « quoi, tu veux un serment inviolable aussi ou- » un petit doigt tendu vers le cadet, qui y lie le sien après une courte pause interloquée. « marché conclu, tu la boucles sur cette fichue bagarre. » un sourire sarcastique sur des lèvres peintes : « une bagarre ? quelle bagarre ? » il la bouscule en quittant le couloir. ))

l'été 2011 passe trop vite à son goût ; elle a reçu les résultats de ses BUSES et a présenté ses nombreuses notes Optimales à son père, qui n'a fait que montrer le bulletin de note à ses petits frères en leur disant qu'ils auront intérêt à faire mieux qu'elle lorsque viendra leur tour. Elle a fait ses devoirs de vacances et est prête à affronter la sixième année. Elle a espionné les conversations de ses parents et les a écouté sélectionner ses futurs prétendants selon les avantages commerciaux qu'ils pourraient tirer de son mariage, et elle s'est effondrée en sanglots enragés tous les soirs pendant une semaine – parce qu'elle vaut tellement mieux que ça, elle le sait, mais ils ne semblent pas vouloir le voir. En ce bel après-midi d'août, elle se tient dans les jardins de la résidence des Khaldun, allongée dans l'herbe à l'ombre d'un arbre. Idriss, étendu à côté d'elle, a abandonné le bouquin qu'il doit lire pour sa cinquième année à Hungcalf et préfère écouter ses lamentations, hochant la tête attentivement quand il le faut. Quand enfin sa colère s'est épuisée, elle soupire. « et toi, c'en est où? » demande-t-elle enfin. « je suis gay, » lâche-t-il. oh. « oh. Je m'en fiche, tu sais ; je suis au moins un peu gay aussi, je pense. » il fait bien semblant, mais elle sent la tension disparaître des épaules de son frère de cœur. « je m'en suis douté, » ricane-t-il, et elle lui donne un coup de pied au tibias pour transformer son rire en grimace. Un silence confortable s'installe, flotte quelques instants ; comme bien souvent, c'est Idriss qui le brise : « on devrait se marier – ensemble, je veux dire. » elle lui offre son regard le plus désabusé de sa panoplie, avec haussement dubitatif des sourcils et battements de cils interloqués. « je dis juste que si on se marie nos parents seraient satisfaits et nous lâcheraient la grappe ; on pourrait faire ce qu'on veut chacun de son côté sentimentalement parlant, et s'ils réclament des petits-enfants on n'a qu'à dire que j'suis stérile. » elle secoue la tête, exaspérée, mais un sourire menace d'étirer le coin de ses lèvres. Quel imbécile ; et sa stupidité lui donne des idées de génie, en plus ! « T'es vraiment trop con, 'Dris. J'adore ce plan. » il brandit un poing victorieux en rigolant ; elle cogne ses phalanges contre les siennes.

(( Idriss demande la main de Circe l'été de ses dix-sept ans. Ils se marient un an plus tard ; les célébrations durent sept jours, dans les règles de l'art, et leurs parents sont tout simplement ravis. Lors de leur nuit de noces, ils s'étalent dans les draps et trinquent en l'honneur de leur ruse, boivent jusqu'à ce qu'ils tombent de fatigue et se réveillent avec une gueule de bois phénoménale. Son père n'a plus à dicter ses actes, désormais ; elle se lance à cœur perdu dans ses études de Sciences Occultes, toujours aussi passionnée par les mystères du temps, de l'histoire, de la mémoire ; Idriss, lui, s'implique corps et âme dans son métier d'Auror. Ils vivent ensemble dans un grand appartement à Inverness, et font chambre à part bien évidemment ; ce mariage s'apparente plutôt à une colocation complice. Ils gardent leurs relations extra-maritales soigneusement secrètes, et personne ne semble se douter de quoi que ce soit : ils sont si proches, après tout, que leur entourage est convaincu de leur amour. Le bonheur dure cinq ans. ))

Ça s'est terminé ainsi :

Il ne reste plus qu'elle, seule sous l'averse, baguette pointée vers le ciel en guise de parapluie. La cérémonie s'est terminée il y a des heures, mais elle n'arrive pas à s'éloigner – alors elle reste figée là, dans sa robe noire et son voile de deuil ; une idiote esseulée plantée devant cette foutue tombe, dans ce foutu cimetière. « T'es vraiment trop con, 'Dris, » qu'elle murmure, les yeux secs et brûlants d'avoir trop pleuré. Elle est censée faire comment sans lui désormais ? Il était sa personne à elle, et il l'a abandonné pour une mission dont il ne reviendra jamais. La voilà seule à nouveau, comme avant leur rencontre – les couloirs sont vides, les échos de leurs éclats de rires assourdis par la douleur de le perdre. Elle est tétanisée devant sa tombe, les os glacés par la tristesse et l'automne, comme si elle pouvait ressentir quelques miettes de proximité avec lui en restant là. Des bruits de pas qui se rapprochent d'elle, une main hésitante sur son épaule ; elle lève les yeux et croise le regard de son petit frère. « Tu vas attraper froid, » grommelle-t-il, « rentrons. » elle n'a même pas la force de le contredire et le laisse la traîner hors de ces maudits lieux.