Que valez-vous, Mr. Leroy ? ft. @Roman Duvall | 17.10.22

Un train-train quotidien s’est installé pour Maximilien à la Chouette Enchaînée. Pendant de nombreux mois, il n’a pas pu donner toute son attention au journal à cause de ses problèmes personnels et de ce fait, revenir dans la course a été compliqué. Aujourd’hui, c’est à peine si on le remarque ou si on pense à lui faire faire quelque chose. Malheureusement pour lui, le Français ne parvient pas à jouer des coudes pour obtenir une place dans cette équipe très changeante, à commencer par son rédacteur en chef. Il n’avait peut-être pas une très forte affinité avec Ephrem mais au moins, celui-ci lui témoignait du respect… quand il pensait à lui. Avec l’arrivée du nouveau, Maximilien ne sait plus vraiment comment se conduire alors il se laisse porter par les flots, assiste aux réunions, prend de nombreuses qui, il l’espère, lui seront utiles très bientôt.

Plus tôt qu’il ne le pensait, d’ailleurs. C’est une autre réunion qui s’enchaîne et le jeune homme à beau avoir noté quelques idées sur son parchemin et réunit celles des autres pour en faire une publication correcte, il n’a pas osé interrompre qui que ce soit pour la faire connaître. Résultat des courses, son opinion n’a pas été prise en compte mais il sait que c’est de sa faute. Le journalisme est un milieu compétiteur, de “requins” certains diront. La personnalité douce et aimable du Leroy n’y a probablement pas sa place. Mais qu’y peut-il ? Devenir plus brutal ? Plus méchant ? Plus égocentrique ? Tout ça afin de servir ses propres intérêts ? Rien que d’y penser, il se sent mal. Et un peu plus lorsqu’au moment de sortir de la salle de réunion, le nouveau rédacteur en chef l’invite à le suivre dans son bureau. Même si tout cela n’a rien d’une invitation, mais plus d’une convocation. Il va forcément mettre fin à son stage après s’être rendu compte, lors de ces trois à quatre derniers mois, que l’étudiant n’est pas un participant actif à l’élaboration du journal. C’est un ennui et en même temps un soulagement d’avoir enfin été remarqué par quelqu’un dans tout ce chahut. Docilement, Maximilien suit le grand blond jusqu’à l’ancien bureau d’Ephrem et s’installe dans la chaise face à la sienne, le grand mobilier les séparant d’un bon mètre. La décoration est sensiblement différente et témoigne de la personnalité si méconnue du Duvall.

La question le désarçonne. Elle est brute de décoffrage, sans détour. Quel est son but professionnel ? Il y a quelques années, il n’aurait certainement pas hésité à répondre et aurait dit : je veux être reporter. Je veux faire connaître la vérité, toute la vérité et ce, sans détour. Même si elle blesse, même si elle secoue le pouvoir en place. Je veux être au service des citoyens. Mais aujourd’hui… Aujourd’hui, Maximilien n’est même pas sûr que cet emploi soit le bon pour lui, ce qui est assez ironique car il a accepté ses fiançailles avec Juliet essentiellement pour faire le métier de son choix. CE métier. Quelle grande blague… Le Français tourne plusieurs fois sa langue dans sa bouche puis se met enfin à répondre.

« J’ai toujours voulu être reporter, Monsieur Duvall. » C’est une réponse honnête qui exclut ses doutes présents. « Au terme de mon cursus universitaire et donc, de ce stage, j’espérais me faire employer ici ou dans un journal de mon pays. »

Que valez-vous, Mr. Leroy ? ft. @Roman Duvall | 17.10.22

Il sait bien que la question ne s’arrête pas là et que le Duvall a quelque chose derrière la tête. Se débarrasser de lui, peut-être… La réponse de Maximilien est donc succincte. L’étudiant n’est pas au top de son potentiel à cet instant. Il redoute les prochains propos du rédacteur en chef car cette entrevue a l’étrange goût du renvoi. Ce à quoi Roman répond à l’opposé, instaurant entre eux un climat plus détendu. Mais il faut beaucoup plus qu’un échange de prénoms pour que l’anxieux du jour soit à l’aise. Il sait qu’il ne fait pas au mieux depuis quelque temps et que ceci lui sera reproché. Il attend les remontrances du nouveau rédacteur en chef mais au lieu de cela, il loue son choix de caractère. Cette fois, le Français est complètement perdu. Qu’est-ce que tout cela signifie ? La passion guidait Maximilien jusqu’à ce que celle-ci soit bousculée par les drames de la vie. Aujourd’hui, il ne sait tout bonnement plus où il en est… et cela se voit.

Quelle image a-t-il du reporter… bonne question. Auparavant, elle était claire comme de l’eau de roche. Limpide. Maximilien est obligé d’y réfléchir à deux fois mais la bonne fortune semble être de son côté car ils se font interrompre par des coups de becs contre la fenêtre. Le temps que le volatile dépose le courrier et que Roman le pousse sur le côté est suffisant pour que le Français remette ses idées en ordre. Il sait désormais quoi répondre et le fait avec assurance puisque, à bien s’en souvenir, ce sont des propos qu’il a déjà eu par le passé et pour la personne la plus bornée qui soit : son grand-père. S’il est arrivé à convaincre Charles Leroy, Roman sera une partie de plaisir. Néanmoins, Maximilien ne met jamais la charrue avant les bœufs.

« J’ai eu l’occasion de voir l’un des reporter de la Chouette Enchaînée à l’œuvre et son rôle était plus qu’évident à mes yeux. Il est celui qui va collecter l’information, qui la ramène, qui s’assure qu’elle ne soit pas biaisée en cours de route. Il se déplace pour aller tirer la vérité de diverses actualités dans la nation, mais aussi dans le monde lorsque cela l’exige. Le reporter est constamment au fait de l’actualité mondiale et cherche à la vivre de près, de préférence. » Il y a mis toute sa conviction, mais cela sera-t-il suffisant ? Surtout qu’il reste d’autres questions auxquelles apporter des réponses et qu’elles sont plus tortueuses aux yeux de l’étudiant. Se projeter dans quelques années ? Il y a certains aspects de sa vie pour lesquels Maximilien ne se pose aucune question. Dans cinq ans, dix ans, vingt ans… Il se projette aux côtés de Peter, où qu’ils soient. Mais lorsqu’il s’agit de profession, l’image est beaucoup moins nette, à son grand regret. France ou Écosse ? Ou Angleterre ? Il ne peut pas ne pas répondre, ce serait la mort de son stage assurée…

« Je n’ai pour l’instant pas vocation à tenir un journal moi-même. Cependant, je me vois bien dans le rôle que j’ai décrit un peu plus tôt : voyageant à travers le monde pour collecter le plus d’informations possibles, avec mon équipe. Que ce soit ici ou ailleurs n’y change rien. » Reste à savoir s’il a les qualités requises pour un tel poste. La curiosité ? Oui, sans nul doute. Mais la compétitivité face aux autres reporters, beaucoup moins… Mais Maximilien a déjà prouvé qu’il sait se battre pour ce qui compte.

Que valez-vous, Mr. Leroy ? ft. @Roman Duvall | 17.10.22

Maximilien fronce les sourcils. Il lui a demandé de décrire sa vision du métier, normal qu’il n’ait que des paroles à lui offrir non ? Il ne comprend pas ce que le nouveau rédacteur en chef attend de lui lors de cet entretien. Qu’il se lève et aille faire un reportage pour revenir par la suite lui prouver qu’il sait ce qu’est le métier de reporter ? Bien sûr qu’il ne peut qu’être théorique présentement. Il est trop jeune et inexpérimenté pour avoir toutes les connexions d’une personne plus âgée, comme lui. Il n’est encore qu’à l’université, pas dans le milieu du travail. Un stagiaire, pas un employé et là est toute la différence. Ce qui ne semble pas suffisant pour son chef. Mais que peut-il faire de plus ? Il a des études à suivre, une thèse à écrire et un travail à exécuter pour ne pas mourir de faim et de froid dans la rue. Maximilien a à peine le temps de faire des choses pour lui-même, pour son propre plaisir. Cela se résume à quelques soirées, quelques minutes grapillées ça et là avec les personnes qu’il aime. Et en plus de tout ça, il devrait passer plus de temps sur le terrain alors qu’il n’en possède pas ? Alors que personne ne l’a formé pour ça depuis son arrivée ? Même lui voit l’injustice. Il n’ira pas jusqu’à se rebiffer comme Inès pourrait le faire mais on peut lire sur son visage la frustration d’une telle remontrance. S’il avait les moyens de faire plus, il le ferait mais son boulot à la Moufette le handicape.

« Il n’est pas question de se sentir à l’aise ou non. L’ancien rédacteur en chef ne me donnait pas particulièrement d’articles à écrire et encore moins de missions sur le terrain. Je n’ai été formé à tout cela que théoriquement, vous comprenez donc que je ne puisse pas en prendre l’initiative comme un vrai reporter le ferait à ma place. Mon inexpérience pourrait valoir au journal une mauvaise réputation, je ne crois pas que ce soit ce que vous souhaitiez. » Maximilien le regarde droit dans les yeux car il a beau être gentil et bonne pâte, il ne peut pas non plus se laisser constamment rouler dessus. Ce nouveau rédacteur en chef ne sait rien de lui et n’a probablement jamais lu les informations à son sujet. Il est arrivé comme une fleur et cherche à réorganiser tout un système à son image, bousculant ses employés sur son passage sans la moindre hésitation. Eux peuvent s’en accommoder vu leur capacité d’adaptation mais le Français est là pour apprendre et aucun professeur ne le prend sous son aile à la Chouette. Avec Ephrem et tous ses camarades de stage partis, il est sans ressource. Sans monitoring. Si Roman s’attend à ce qu’il se comporte comme un employé expérimenté, il devrait alors revoir ses connaissances sur le sujet. On ne peut pas juste jeter quelqu’un dans l’eau et espérer qu’il apprenne à nager seul sous peine de mourir.

« J’ai déjà rédigé des articles, ils n’ont simplement pas été considérés comme valables ou étaient hors-sujet lors des dernières réunions, donc je n’en ai pas fait mention. Je veux juste souligner que, contrairement aux employés qui travaillent pour vous - et oui, sous condition de rémunération - je ne suis ici que pour apprendre avant tout et ce, sous tutelle. Ce n’est pas ma seule occupation. J’ai un travail en dehors de ce stage et de nombreuses obligations universitaires pour obtenir mon diplôme. Je ne peux pas faire l’impasse dessus pour un article qui ne me vaudra ni reconnaissance, ni contribution. Mes heures sont limitées pour une question de cohésion. Mais si vous avez mieux à m’offrir, je vous écoute. »

Que valez-vous, Mr. Leroy ? ft. @Roman Duvall | 17.10.22

Maximilien montre un aspect de sa personnalité qu’il tient férocement en laisse d’ordinaire. Il n’aime pas parler sur ce ton avec les personnes qu’il fréquente au quotidien car cela lui donne un air autoritaire et hautain qu’il n’apprécie pas. Mais face à Roman, c’est le seul choix qui s’impose à lui s’il ne veut pas que son stage se termine dans la seconde pour “lâcheté” ou manque d’efficacité. Il ne sait pas s’il a ce qu’il faut pour faire le métier de reporter. S’il y a bien une seule chose qu’il sait, c’est qu’il n’a pas été utilisé à bon escient lors de ces derniers mois de stage et qu’il aurait pu faire plus si on avait su l’encadrer comme il se doit. C’est plus ou moins ce qu’il demande au Duvall à cet instant : une vraie prise en main. Son regard dans le sien, il sent la tension retomber dans tout son être et les doutes faire leur retour en triomphe. Et s’il avait dépassé les bornes ? Et s’il était dans le tort depuis le début ? Et si la faute n’incombait vraiment qu’à lui parce qu’il ne s’était pas assez bougé les fesses pour atteindre ses objectifs, à cause de ces mêmes doutes ? Il essaye de garder un visage impassible mais la tâche est dure et il pense pouvoir dire sans se tromper que Roman sait déchiffrer les émotions et qu’il est un guerrier rompu à cet exercice.

Au lieu de se faire entendre dire qu’il peut prendre ses affaires et partir sur le champ, le rédacteur en chef met sur la table devant eux une proposition. Son contenu intrigue aussitôt Maximilien qui garde pourtant le silence. Le même que celui qui a suivi son long discours sur ses responsabilités en tant qu’étudiant et être humain. Il s’attend à peu près à tout, ne connaissant pas suffisamment Roman pour comprendre sa psyché. Ce dernier fait finalement mention d’un poste à la Chouette qui se libérera incessamment sous peu. Une chose que Maximilien n’avait fait qu’envisager sans jamais réellement y donner de l’importance. Ne sachant pas s’il souhaite repartir en France après ses études ou non, est-il judicieux d’accepter un poste ? S’il ne le fait pas, il le regrettera car personne ne lui proposera une telle opportunité d’exercer sur le terrain tout en terminant ses études et ce, avec rémunération à la clé. Il aime beaucoup la Moufette et les amis qu’il s’y est fait mais il faut regarder la vérité en face : être serveur n’est pas sa passion. Ce n’est pas son avenir, quand bien même il y est doué.

La proposition ne vient pas sans son lot de compromis et au terme “mérite”, Maximilien se tend un peu. Roman sait avoir la meilleure manche en main et il peut lui demander ce qu’il veut avec la quasi certitude que l’étudiant se pliera en quatre pour le lui obtenir, attiré par l’appât d’une incroyable opportunité professionnelle. Une formation, un salaire… Que peut-il demander de plus, au final ? Et c’est vers Hungcalf que l’intérêt du Duvall se porte. Encore. Ephrem lui a déjà fait le coup et le Français serre les dents. C’est la deuxième fois qu’on lui demande de se servir de son statut d’étudier pour approcher une tête populaire qui ne se laisse pas approcher par les journalistes. Sans nul doute possible, Roman sait ce qu’il fait. Il l’a eu. Maximilien ne peut que l’admettre. Soit il refuse et il perd un job en or ; soit il accepte et il risque sa place d’étudiant si les choses avec McArthur se passent mal.

« C’est tentant, je suis forcé de l’admettre. Cependant, j’ai quelques questions avant d’accepter, par sécurité. Peu importe le sujet abordé lors de l’interview ? Car le Doyen n’est pas dupe, ce n’est pas la première fois que la Chouette tente d’obtenir de lui des informations secrètes ou brûlantes sur l’université. Il ne me divulguera rien de compromettant et je n’ai pas encore l’expérience nécessaire pour lui tirer habilement les vers du nez. Qu’attendez-vous de cette interview au juste ? » Tout comme avec Ephrem par le passé, Maximilien se trouve réticent à l’idée de porter un coup de couteau dans le dos d’une institution qu’il aime beaucoup et dans laquelle il se sent à l’aise.

Que valez-vous, Mr. Leroy ? ft. @Roman Duvall | 17.10.22

Maximilien sait désormais ce que Roman attend de lui et il ne compte pas faillir à sa tâche. Même si la perspective du changement l'effraie et qu'il serait plus facile de refuser l'offre du sorcier pour rester dans son confort de vie, le Summerbee n'oublie pas que désormais, il doit accorder de l'importance au futur. Son futur. Il ne peut pas rester un serveur toute sa vie ! En arrivant à Hungcalf, il avait un but précis pour lequel il s'est battu et a longtemps sacrifié beaucoup de choses. Sa vie amoureuse, notamment. Hors de question de tout détruire sous prétexte qu'il a peur du changement et de l'imprévisibilité qui peut en découler. Il perdrait alors le dernier grain de respect que son grand-père a encore pour lui. Et celui de ses parents. Et de Peter. Pour leur montrer qu'ils peuvent réussir, il ne tient qu'à lui d'agir en exemple. Peut-être même cela le rassurera-t-il ?

Alors il fera cet article. Surtout qu'en fin de compte, Roman n'attend pas d'exclusivité choquante de sa part. Juste une interview. Il peut le faire ! Le Français est par ailleurs surpris de la confiance dont fait preuve le rédacteur en chef envers lui. Il l'estime capable de mener de front une telle tâche alors que, depuis son arrivée, il n'a clairement pas fait ses preuves. Maximilien hoche la tête plusieurs fois et son cœur bat un peu plus fort. Trois semaines. Cela semble à la fois long et court. La première semaine lui servira sûrement à obtenir un rendez-vous avec McArthur, ainsi qu’à obtenir des informations sur l’homme. La deuxième sera pour le rendez-vous en lui-même et sa préparation. La troisième semaine, il réunira ses notes et fera son article. Oui, cela semble être un bon plan si aucun obstacle ne se présente. Pas de distraction.

Posée ainsi, la question se teinte d’un voile de mépris mais Maximilien fait le choix de ne pas relever. Il a apprécié son temps à la Moufette, qui l’a aidé dans bien des domaines.

« Je tente ma chance, bien évidemment. Vous aurez cet article dans trois semaines. » Le Summerbe injecte le plus d’assurance possible dans le timbre de sa voix, espérant que cela suffira à convaincre autant le Duvall que lui-même. Ils sont rapidement interrompus par une présence derrière la porte - un rendez-vous sûrement - et les quelques coups à la porte signent la fin de cette entrevue.

« Je vous remercie pour l’opportunité, Roman. Je ne vous décevrai pas. » Le temps de se lever, il lui fait un signe de tête en guise de remerciement et en quelques minutes, il est hors de son bureau, légèrement chamboulé. Sa vie vient de prendre un gros tournant et ses pensées sont en pagaille. Il a hâte de raconter tout cela à Peter !