Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Confortablement assis à une table du Black Wolf, Arthur parcourait du regard la Gazette sorcière avec un intérêt tout particulier pour les articles traitant des affaires mondiales. Accompagné de sa plume à papote, il notait sur un carnet en cuir rouge à ses côtés les informations les plus importantes, celles qui retenaient tout particulièrement son attention. Il relevait brièvement la tête à chaque fois que la clochette du lieu se mettait à teinter, indiquant l’entrée d’un nouveau visiteur. Cette petite danse perdura quelques fois jusqu’à ce que la silhouette de Calliope Muller se dessine dans l’entrée. Il referma alors le journal devant lui, la plume s’interrompit et se coinça entre les pages du carnet qui se rabattit sur lui-même et disparut dans la grande poche intérieure de son manteau hivernale. Le Roumain se leva de sa chaise pour accueillir comme il se doit la femme au sang bleu et la salua avec toute l’élégance inculquée dès son plus jeune âge.

« Bonjour, Calliope. C’est tout excusé, bien entendu. » Une femme devait savoir se faire désirer et elle appliquait cet adage à la lettre en se présentant en retard à leur rendez-vous. Il aurait aimé dire qu’il se moquait de la raison qui l’avait poussé à arriver plusieurs minutes après l’heure convenue ensemble, mais ce serait mentir. Arthur s’intéressait à la jeune femme pour des raisons précises et tout ce qu’elle faisait devenait, de ce fait, intriguant. Ou à surveiller, tout du moins. Il attendit qu’elle se soit installée pour en faire de même - une deuxième fois - et posa ses mains liées ensemble devant lui, à même la table.

« Je suis bien d’accord. Tu es particulièrement en beauté ce soir. Souhaites-tu commander un apéritif tout de suite ? » On le sentait habitué à ce type de conversation. Bien que réservé et brut de décoffrage, il maniait les mots avec aisance et toujours dans un but précis. De même, son regard ne quittait pas le visage de Calliope, ne s’autorisant à descendre plus bas que si elle le lui autorisait. Pour certaines, cette flatterie pouvait prendre des airs d’affront et il ne savait pas encore où se situait la Muller sur cette courbe.

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Il accepta le compliment, même s’il vit d’un œil un peu moins consentant la jeune femme toucher son col comme s’ils étaient dans une relation de plusieurs mois. Ce qui ne lui arrivait presque jamais. Arthur connaissait la réglementation des rapprochements physiques lors de rendez-vous galants et il se demandait ce qu’aurait pensé Calliope s’il s’était permis de remettre sa bretelle de robe sans aucune permission de sa part, qu’elle fusse verbale ou non. Le but n’étant pas de la contrarier, il lâcha très vite l’affaire et se concentra sur l’apéritif.

« Il me semble y avoir mangé une fois ou deux ces sept dernières années mais je ne me suis jamais penché sur leur cave, donc je veux bien te croire à ce sujet. » Comme tout un chacun, le Roumain appréciait accompagner son plat d’une boisson adéquate et il ne pouvait cacher être un grand amateur de vin rouge. Ayant voyagé à travers le monde, son palais avait pu goûter à de nombreux breuvages alcoolisés et seuls quelques-uns - les meilleurs - lui étaient restés en mémoire. Il s’agissait bien souvent d’alcool fort ou de vin à caractère. Il ne serait pas allé vers du champagne s’il avait eu le choix mais ce rendez-vous n’avait rien d’anodin, alors il se plia au desiderata de la dame. Elle méritait bien une petite exception de sa part. Un compromis, dira-t-on.

« Ce sera très bien pour commencer. Je pense me diriger vers du vin pour la suite du repas, me suivras-tu ? Blanc ou rouge, à ta convenance. » Il n’allait pas choisir pour elle non plus et ne comprenait pas ces hommes qui pensaient devoir gérer le repas de A à Z, jusqu’aux aliments se trouvant dans l’assiette de leur rendez-vous galant. Elle pouvait manger du poisson, de la viande ou une salade qu’il n’y verrait aucune différence. La serveuse, dans son élégant costume noir et blanc, arriva à leur table à point nommé et il lui donna leur commande : deux coupes d’un des meilleurs millésimes. Une petite fortune pour ceux n’ayant pas leur aisance financière.

« Nous n’avons que rarement eu l’occasion de discuter depuis mon arrivée au Ministère Anglais. Je suis ravi que nous prenions ce temps. Ta position te satisfait-elle ? Je crois savoir que tu es actuellement en formation pour devenir Juge ? C’est impressionnant. »

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Elle sembla se perdre dans ses souvenirs et l’homme curieux qu’il était se questionna sur ce qui la rendait absente. Cela ne dura que quelques secondes jusqu’à ce que son regard croise de nouveau le sien et qu’elle pose pieds à terre. Il l’interrogea alors sur sa carrière car dans la sphère des sorciers purs célibataire, Calliope Muller était connue pour cela. Aucun engagement durable ou notable - pas selon sa mémoire mais il pouvait avoir rangé l’information quelque part en pensant la réutiliser plus tard - et une carrière en béton armé. Ambitieuse, à l’image de sa famille, seul son statut matrimonial pouvait encore soulever quelques questions. Arthur en avait à son sujet mais il serait mal avisé de les poser si tôt. Et stupide.

« C’est une bonne chose. Il faut savoir prendre des chemins détournés pour s’assurer un futur. » Il ne dit pas cela en vain. Dans un coin de sa tête, bien ancré, se trouvait la raison de ce dîner. La demoiselle était liée à une affaire et il ne parvenait pas encore à dire si elle était réellement impliquée dans la disparition de Majewski. C’était bien trop tôt pour cela. Il se demandait même si elle voyait vraiment en lui un soupirant sérieux…

« À qui le dis-tu. Ce ne sont pas toujours les membres les plus élégants de notre société… » Arthur connaissait de nombreux Aurors, celui que Calliope mentionna en faisait partie. Certains de ses amis étaient Aurors mais il n’échangerait sa place avec eux pour rien au monde. Leur rythme effréné et leur style abrupt ne correspondaient pas aux standards du Batthyány, raisons pour lesquelles il avait choisi la diplomatie, comme son père. Cependant, ce n’était pas un service à rabaisser. Avoir une main active et efficace était très arrangeant au quotidien. Comme le disait si bien son paternel “tout le monde ne peut pas être un cerveau”.

« Oh, je vois ! Tu es bien tombée alors, j’imagine. C’est un bon ami à moi, en quelque sorte. » Il retint une grimace. Son passé avec Ian était complexe et riche, il ne se résumait pas en un seul mot. Mais malgré cela, il pouvait encore l’appeler “ami”, un mot qu’il n’avait plus prononcé en sa présence cependant.

« Je doute que tu aies besoin de mon aide mais si jamais tu as besoin d’un service, je peux toujours lui glisser un mot. Il saura toujours m’écouter. » Il y était obligé, désormais. Ian comprenait maintenant que sa parole valait quelque chose et n’était pas là que pour lui faire de la peine. Sa franchise concernant sa relation avec T’Chaba n’avait jamais eu pour but de le diminuer, simplement de lui faire ouvrir les yeux. Arthur regarda Calliope et quelque chose lui disait qu’elle n’était pas le genre de personne à demander des faveurs, mais plutôt à prendre les choses en mains pour les résoudre elle-même. Il pouvait respecter cela.

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Sur la même longueur d’onde, la conversation se poursuivit sans obstacle et avec une aisance qu’Arthur ne connaissait que trop peu lorsqu’il s’agissait de la gente féminine. Soit il les trouvait trop entreprenantes, soit pas assez ou alors, cela arrivait malheureusement, d’un ennui mortel. Même si la conversation restait sur un thème professionnel pour le moment, il n’avait aucun mal à répondre à Calliope, tout en lui envoyant quelques questions en retour. Elle se montrait concise, d’une conversation pertinente et rien dans ces gestes ne semblait le viser ouvertement. Il comprit d’ailleurs au ton de sa voix qu’elle n’usait d’aucun fil interne pour obtenir ce qu’elle souhaitait et qu’il n’aurait en aucun cas à intervenir dans ses échanges avec Ian. Il ne comptait pas le faire mais elle avait au moins su répondre à cette proposition avec classe et élégance. Ainsi, il pouvait plus aisément la respecter en tant que professionnelle. Pour montrer qu’il se détendait lui aussi dans cet échange, Arthur laissa son dos reposer contre le dossier de la chaise et passa une jambe par-dessus l’autre. Son coude vint apporter un peu de stabilité dans cette position en se posant sur le bois de la table.

Le diplomate eut un petit sourire à la question de Calliope mais il tarda à y répondre. Il se demandait s’il était intelligent de sa part de lui demander de quelle aide elle aurait besoin à Azkaban car Arthur connaissait autant d’Aurors que de détenus. Ses connexions étaient nombreuses et avec le temps, il avait établi des contacts avec des sorciers de faible moralité qui lui devaient encore, à ce jour, quelques services dont il saurait faire usage en temps voulu. Mais Calliope, de par son choix de métier, ne devait pas être réceptive à ce type de proposition alors il resta soft.

« Quelques-uns mais je doute pouvoir t’être d’une grande utilité dans ce milieu. Qu’espères-tu acquérir de nouveau lors de ce stage ? C’est un environnement particulier. » Son père aurait rajouté “pour une sorcière” mais Arthur eut la délicatesse d’arrêter sa phrase avant. Une retenue qu’il appliquait de plus en plus sur ses discours pour respecter l’évolution de la société et ne pas paraître aussi démodé et blessant que son paternel. Cela restait un travail de tous les instants pour un homme de son âge élevé dans un modèle patriarcal intensif.

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Arthur se fit discret dans sa réponse, presque évasif. Il ne voulait pas laisser l’opportunité à qui que ce soit de prendre connaissance de l’étendue de son réseau car l’effet de surprise constituait un atout non négligeable dans ses affaires. Ce qu’il cherchait à apprendre de Calliope - la raison de ce rendez-vous, en somme - était délicat et demandait un doigté minutieux.

« Je vois. Cela a l’air très intéressant, en effet. » S’il en comprenait l’enjeu, il réitérait la pensée selon laquelle il n’avait rien à lui offrir qui puisse lui être utile dans ce stage. Elle semblait parfaitement se débrouiller d’elle-même, une qualité qu’il appréciait particulièrement chez les femmes carriéristes telles qu’Isabelle et Calliope. L’inquiétude n’était pas de mise. En même temps, là n’était pas sa place. Ils furent interrompus par le serveur qui venait s’enquérir de leur choix et à l’instar de la Blackthorn, il s’empara de son menu pour y jeter un bref coup d’œil. Le choix de Calliope l’intrigua tout particulièrement.

« Un met audacieux, je dois ajouter. » De par la présence de la Belladone. Il faisait face à une nouvelle facette de la personnalité de la jeune femme, preuve que tous les renseignements du monde ne suffiraient pas à la saisir pleinement. Arthur hésita quelques secondes puis rendit son menu au serveur. « Je prendrai la même chose, je vous prie. Loin de moi l’idée de te copier, chère Calliope, mais je n’ai pas encore fait le tour des plats les plus intrigants d’Inverness et je dois bien admettre que celui-ci soulève quelques interrogations. Je me fie à ton jugement. » Créer une connexion, voilà de quoi il s’agissait ici. Et il la soupçonnait d’avoir ses propres objectifs en tête ce qui, en soit, n’avait rien d’étonnant. Il n’avait qu’une hâte : apprendre ce dont ils retournaient. Avec cela, il commanda un excellent vin rouge, parfait pour accompagner ce type de mets - lui confirma d’ailleurs le serveur - et ce dernier prit congé sans plus attendre. Arthur attendit par ailleurs qu’il soit suffisamment éloigné pour reprendre leur conversation.

« Tout ce qui entoure Azkaban relève du secret, mais à raison. Un domaine où je ne pourrais guère t’être d’un grand secours, malheureusement. Mais ce n’est pas pour cela que ce dîner a lieu, n’est-ce pas ? » Il darda son regard clair sur la Blackthorn. Le choix d’être aussi franc était risqué, ce pour plusieurs raisons évidentes, mais Arthur était un guerrier habitué aux conversations sensibles. Il savait quand il fallait foncer et quand il fallait se retenir. Ainsi, leur discussion pouvait prendre un tout autre tournant s’ils le souhaitaient. Il se demanda si elle allait faire preuve d’honnêteté et il attendait de connaître sa tactique pour adapter la sienne. La confronter directement si tôt au sujet de Dimitri n’avait rien de judicieux. Cela devait se faire en douceur…

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Arthur se méfiait de tout, constamment. Mais même lui devait parfois prendre un peu de recul et se rendre compte qu’adopter un tel comportement pouvait, au quotidien, lui causer du tort. Alors il choisissait quelques domaines où il lui était possible de lâcher un peu la bride et laisser les autres décider pour lui. En acceptant de suivre Calliope dans son choix de plat, il faisait un sacré compromis avec lui-même. En grande partie parce qu’il savait ne pas risquer grand-chose. La conversation se faisant, il en vint à aborder la raison de leur présence dans ce restaurant et les motivations de la Muller. Il aurait pu être plus frontal mais il jugea que ce sujet demandait une certaine diplomatie, surtout qu’il cachait lui-même un dessein spécifique dont elle n’avait pas encore conscience. Calliope commença par établir quelques faits qu’il ne pouvait pas réfuter. En effet, leur relation jusqu’à présent s’en tenait à quelques salutations cordiales dans les couloirs du Ministère de la Magie à Londres, quand ils s’y croisaient - ce qui n’avait absolument rien de récurrent. Elle lui confia avoir eu un œil sur lui, de ceux qui sous-entendent un véritable intérêt et dont le seul but était probablement de flatter l’ego du Roumain. Cela fonctionna, même s’il ne s’y laissa pas méprendre, à l’instar du Corbeau. Hors de question de lâcher son fromage face aux belles paroles de la Renarde devant lui, dont les atours ne manquaient pas de charme. Elle savait en jouer.

« J’ai accepté » répéta-t-il comme pour confirmer ce qu’elle pensait déjà savoir. À la réflexion, Calliope ne devait pas recevoir beaucoup de refus à ses avances et il les devina peu nombreuses. L’élégante femme lui laissa alors l’opportunité d’exposer ses propres motivations. Arthur continua sur sa lancée avec un seul objectif en tête. Pour l’atteindre, il devait rentrer dans les bonnes grâces de la Muller.

« Idiot serait celui qui ne le ferait pas. Il est presque étrange que personne n’ait organisé cela pour nous auparavant. Toi comme moi connaissons les rouages inhérents aux familles comme les nôtres, ce n’était qu’une question de temps et je suis ravi que tu les aies devancés. La volonté et la détermination sont des qualités, à mes yeux bien sûr. Qui sait ce qui ressortira de ce dîner… » Des réponses, espérait-il. Aucun de ses propos n’était enroulé dans une couverture de mensonge, ce qui le rendait ses propos plus sincères. Authentiques. Calliope était une belle femme, forte d’esprit et ayant de grandes aspirations professionnelles. Cela pouvait être une bonne chose comme une mauvaise. Son père, par exemple, verrait en elle une épine sous la peau à retirer au plus vite, car il n’envisageait pas pour son fils une femme dont la carrière passerait avant le développement de sa famille. Arthur, au contraire, voyait cela comme une qualité.

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Il n’y avait rien d’incongru à ce dîner, rien qui sorte de l’ordinaire. Deux célibataires dans la trentaine comme eux, sang pur et possédant une forte richesse, se devaient un jour ou l’autre se retrouver autour d’un repas, que celui-ci ait des conséquences ou non. Il trouvait étrange que les parents de Calliope ne la force pas à réitérer ces tentatives plus souvent et la liberté dont elle faisait mention, si elle ne sonnait pas faux, manquait de réalisme. Les Muller n’étaient pas les Blackthorn, mais ils n’étaient pas non plus progressistes au point de laisser leur fille sans mari trop longtemps. Soit la demoiselle était particulièrement difficile, soit ils cachaient une autre raison plus obscure qu’il était curieux de connaître. A son tour de mettre le doigt sur un détail de sa vie familiale qu’elle relevait avec élégance et véracité. Arthur eut un sourire faussement amusé.

« Exception, j’en doute. Je ne suis ici professionnellement qu’à titre exceptionnel et en aucun cas pour me trouver une épouse. Je ne suis pas aussi avant-gardiste qu’il y paraît. Mon allégeance appartiendra toujours à l’Est et il est fort probable que mon mariage se tisse avec une famille voisine de la nôtre. Si ce n’est pas de l’Est, du côté de l’Europe tout du moins. » Mais pas au Royaume-Uni. Batthyany senior haïssait tout bonnement les anglophones et ne faisait affaire avec eux que parce qu’une confrontation ne saurait en aucun cas être bénéfique aux pays concernés. Même si Mother Russia avait ses idées sur le sujet. Il songea à la femme qui aurait dû être la sienne depuis quelques années maintenant s’il n’avait pas eu la stupide idée de la chasser de sa vie. Une alliance avec les D’Essenault était plébiscité par les deux familles à l’époque, non pas parce que leurs enfants étaient meilleurs amis depuis le bac à sable et qu’ils s’entendaient parfaitement l’un avec l’autre, mais bien parce que cela leur aurait donné un avantage certain dans leur Confrérie secrète.

« Les Muller seraient-ils prêts à s’exporter ? J’ai ouï dire que vous étiez en train d’installer une alliance solide avec la Suisse et possiblement la France ? Un projet de grande envergure. » Ils savaient tous deux ce qu’il entendait par là. Un mariage, dans leur monde, ne signifiait qu’une chose : une expansion. Le Royaume-Uni ne suffisait plus aux Muller, ils devaient acquérir de nouveaux territoires, laisser leur trace à travers le globe pour qu’un jour, tout le monde soit un descendant des Muller. Si l’idée semblait ridicule, il serait surprenant et intéressant de noter combien de familles fortunées pensaient de la même façon.

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Il garda le silence jusqu’à ce qu’elle réponde à sa propre question et celle-ci ne lui offrit guère de satisfaction. En un sens, il savait déjà tout ce qu’elle lui racontait, rien de nouveau sous le soleil froid de l’Écosse. Arthur réprima une légère moue contrariée mais en fin de compte, peu importe le sujet abordé avec Calliope. Il était trop tôt pour envisager une direction vers Dimitri et parler boulot pouvait, au contraire, l’aider en ce point. Après tout, il n’avait accepté ce rendez-vous que parce qu’il avait une mission claire en tête. Le Roumain se demanda d’ailleurs si la jeune femme se doutait de quelque chose ou si son ignorance avait pris le dessus sur la réflexion.

« Tu te doutes bien que je ne peux avoir la langue très pendue concernant mon travail. Beaucoup de ses sujets touchent des affaires sensibles et je m’en voudrais de causer des dommages entre nos pays à cause d’un verre de vin trop vite ingéré. » Sa première partie de réponse fut délivrée sur un ton calme s'apparentant à de l’humour. Il ne lui refusait pas la conversation mais la prévenait simplement qu’elle n’obtiendrait pas de lui beaucoup de détails. Calliope était bien placée pour savoir ce que des métiers comme les leurs impliquait : une grande discrétion et un silence à toute épreuve. Il remarqua d’ailleurs qu’elle posait beaucoup de questions, peut-être pour éviter d’en recevoir elle-même ? Une technique que tout diplomate se devait de maîtriser. Mais peu inquiet de perdre la main dans cette conversation, il s’autorisa une suite à sa réponse initiale.

« Je peux simplement dire que ce n’est pas un choix personnel. Il fallait quelqu’un et j’ai été choisi pour assurer cette tâche en Grande-Bretagne. Pour être honnête, je ne pensais pas rester aussi longtemps. » Sa mission initiale concernait les élections sorcières mais désormais, cette histoire était ancienne - du moins, de son point de vue. Il n’avait plus aucun rôle à y jouer. Le Parti PURE avait été placé là où Mother Russia le voulait. En dehors de cette tâche, il avait reçu quelques directives concernant une meurtrière en cavale sur le continent - à ce jour non retrouvée - et maintenant, la disparition de Dimitri. Plus il restait sur Londres et Inverness et plus on lui trouvait des raisons de rester. Le fait qu’Isabelle s’y trouvait jouait peut-être en cette faveur, bien qu’il ne saurait jamais l’admettre. Les récents événements avec la Confrérie ne le poussaient pas plus au départ. Trop de choses restaient à résoudre ici qui ne concernaient pas son travail. Et puis, maintenant, il y avait cette enfant qui lui collait aux basques et que, peut-être (oui oui peut-être) il aurait des scrupules à abandonner.

« J’ai fait office de conférencier à Hungcalf, c’était une expérience enrichissante. Une bonne raison d’accepter de quitter mon pays pour quelques temps. Mais si je dois résumer mon travail, je dirais simplement… que c’est beaucoup de discussions. Tu dois bien t’en douter. » Contrairement aux Aurors, ils sont un peu moins dans l’action systématique. Leurs objectifs reposent sur leur pouvoir de conviction.

« T’imagines-tu travailler ailleurs que sur ce continent ? »

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

« J’ai un quotidien ordinaire. Je me lève, je vais travailler, je râle parfois puis je rentre chez moi. » Aucune information n’était banale au regard d’Arthur. Raconter ses journées revenait à lui donner des munitions pour l’atteindre. Paranoïaque jusqu’au bout des ongles, il s’imaginait que donner les détails de son quotidien accordait à ses adversaires un avantage de taille. Ils savaient alors quand il n’était pas chez lui pour pouvoir s’y introduire et lui voler ses biens les plus précieux. Mentionner des noms ? Hors de question, il pourrait en perdre la tête. Le diplomate ne préférait pas se lancer dans une telle discussion avec une Muller. Elle jouait bien son jeu, cependant. Toute mielleuse et innocente… Dire que certains hommes avalaient cela sans même se poser plus de questions sur ses intentions ! Pour lui donner satisfaction, il mentionna plutôt sa présence à Hungcalf lors de l’année précédente, ce qui ne relevait pas d’une opération confidentielle et ne le mettait pas, lui, en danger immédiat.

Ils sont interrompus par l’arrivée de leurs plats, qui tombent à point nommé. Arthur n’oubliait pas que ce rendez-vous n'avait rien d’anodin pour lui et qu’il avait un objectif en tête. Ce faisant, il ne pouvait pas prendre les interrogations de Calliope pour de la naïve curiosité : si ce dont il se doutait était vrai, la dame était capable de se débarrasser d’un être humain du jour au lendemain. Prudence était de mise. Après avoir goûté au vin - dont il salua la note boisée - il prit une gorgée de son assiette tandis que la Muller répondait enfin à sa question. Des informations somme toute banales, sans grand intérêt. Il valait mieux pour elle qu’elle reste éloignée de la Russie, de toute façon.

« Hâte, pas forcément. J’ai sû m’adapter aux us et coutumes de Grande-Bretagne et je pense pouvoir m’y accoutumer pour davantage de mois, voire d’années. Mais il va sans dire que rien ne vaut son pays natal. C’est pourquoi j’y suis retourné le temps de quelques jours l’été dernier. » Ceci non plus, il préférait ne pas le dire d’ordinaire mais il ne pouvait pas rester complètement muet face à la jeune femme, elle se poserait encore plus de questions à son sujet. Et puis, il n’avait rien fait en Roumanie qui puisse le plonger dans les tracas, hormis visiter sa famille et réfléchir à une stratégie concernant leur position dans la Confrérie. Des détails dont, bien sûr, elle ne pouvait connaître l’existence. Aussi étrange que cela puisse paraître, les Blackthorn et les Muller n’avaient aucune position dans Absolutum. Aucun lien que ce soit. En espérant que les Lacroix sachent garder la Confrérie secrète malgré leur future alliance avec les Muller.

« Prends-tu le temps de voyager, tout de même ? Si c’est là un de tes intérêts personnels. Je dois bien avouer que c’est l’un des miens. » Voyager pour les affaires ou pour les secrets, cela ne faisait aucune différence aux yeux d’Arthur. Il avait, ainsi, des amis et contacts aux quatre coins du globe.

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Il l’attendait exactement là où elle venait de s’engouffrer : sur un sujet plus vaste sur lequel il pouvait parler sans risquer de trahir un quelconque secret ou une promesse faite à on-ne-sait-qui. De plus, Arthur était fier de sa patrie natale et il pouvait en discuter pendant des heures, sans craindre d’être à court de paroles. Étant donné le cadre de ce dîner, il se montrera plus réservé bien sûr et choisira ses mots et ses sujets avec attention. L’ennuyer ne lui serait en aucun cas profitable.

« C’est vrai, mais ce n’est probablement pas plus mal comme ça. On a notre lot de touristes grâce à la Transylvanie principalement - Dracula pour les moldus et les réserves de dragons pour les sorciers. Il faut avouer que les châteaux et la nature y sont exceptionnels. Mais pour tout te dire, je ne peux m’exprimer avec objectivité sur le sujet. J’y ai un attachement particulier. Ayant grandi à Bucarest, cette ville est comme ma maison, ses rues mes couloirs. Ses campagnes environnantes, mon jardin. » Tout le monde devait ressentir ça non ? Il imaginait les choses ainsi. Ou peut-être était-ce son éducation qui l’avait poussé à se lier d’une telle façon avec son pays. Bathyány père était un homme chauvin, protecteur de la Roumanie et peu enclin à laisser quiconque d’étranger y entrer. Raison pour laquelle il n’aimait pas les anglophones, d’ailleurs. “Je vois leurs regards avides et je les imagine se tourner vers nous. Arthur, ne laisse jamais ces yeux cupides détruire ce joyau”. Car tout revenait aux joyaux, finalement. À l’unique, l’inestimable. Arthur n’avait pas le même esprit mais une partie restait ancrée dans cette vision paternelle de la Roumanie.

« Je vois » répondit le diplomate dans un premier temps, attendant d’avoir mâché sa pièce de volaille pour reprendre la parole. « Quel pays souhaiterais-tu visiter de fond en comble, si on t’en donnait l’opportunité ? » En imaginant que l’on mettait de côté le travail, les responsabilités familiales, les jugements des uns et des autres… Où se voyait-elle partir ? Le voyait-elle seulement ? Ou était-ce une autre de ces femmes casanières rencontrées sur le pays insulaire, incapables d’en quitter les frontières naturelles ? Il repensa naturellement à Isabelle, à leur adolescence, à leurs projets de voyage universitaire qui n’auront jamais vu la lumière du jour. À la réflexion, il pensait peut-être un peu trop à elle, dernièrement. Chaque fois qu’il rencontrait une nouvelle femme, peu importe les intentions qu’il avait envers elles. Il les comparait, inlassablement, jamais satisfait.

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

Arthur ne cherchait pas à cacher son amour de son pays. Il n’était pas là en tant que ressortissant britannique et n’avait jamais prétendu l’être auprès de qui que ce soit. Le diplomate était parfaitement conscient d’être un étranger sur une terre et entouré de personnes qu’il ne comprenait pas toujours, et dont la langue lui causait parfois du tort. À ses oreilles, l’accent était tout bonnement abominable et lui donnait la migraine. Il préférait largement les sonorités roumaines, aussi douces que des berceuses à ses oreilles. Question d’affinité. Il n’afficha donc aucune vexation face aux propos de Calliope, mais pas plus de fierté pour autant. Il ne voulait pas passer pour l’un de ceux qui ne cessaient de parler de leur pays natal, malades d’en être séparés au point de casser les oreilles de tout le monde. La conversation avait seulement été propice à une telle démonstration, mais il ne comptait pas s’étaler davantage. Arthur remarqua cependant que la Muller n’en faisait pas de même. Beaucoup de ceux qu’il avait croisés au Ministère de Londres n’avaient fait que lui dénombrer les avantages de vivre en Grande-Bretagne et pourtant, la demoiselle ne s’y essayait pas. Déformation professionnelle ou non, mais il y vit une étrange révélation qui éveilla son intérêt.

L’Italie fut son choix final et il ne trouva rien à ajouter. Tout avait été dit. Il ne pouvait qu’acquiescer, accordant au pays latin la jolie description qu’elle en faisait. Les italiens avaient le sens du commerce et leur langue chantait à ses oreilles. Que de points positifs. Il écarta volontairement les inconvénients de la botte du monde, sentant que ce n’était pas le sujet. La question lui fut renvoyée en pleine face, mais il s’y attendait. C’était le propre d’une discussion civilisée.

« Préféré… grande question. » Sa réflexion n’était pas mensongère. Arthur passait réellement en revue toutes les contrées visitées lors de ces dernières années, puis s’arrêta finalement sur son choix. « L’Égypte, probablement. Le patrimoine y est grandiose et les paysages intenses, même si je n’ai jamais su m’habituer à leurs températures. » Petite pointe d’humour alors qu’il reprend une gorgée de vin. Bien sûr, il n’a pas oublié la deuxième partie de sa question. « J’aimerais beaucoup visiter l’Antarctique mais les conditions d’accès sont très strictes et je n’ai actuellement aucune affaire me permettant d’obtenir un permis pour visiter les lieux qui m’intéressent. Peut-être un jour, qui sait. » Leurs assiettes terminées, le serveur s’empressa de les débarrasser, accueillis par quelques compliments sur le plat qu’ils venaient de déguster. Des compliments qui se voulaient sincères de la part du Roumain. Très rapidement, il revint avec la carte des desserts, qu’il accepta. Les sucreries britanniques étaient loins d’être suffisamment intéressantes à son goût, mais il s’y laissait aller de temps à autres.

« Leur carte est variée » fit-il comme premier commentaire. « T’a-t-on aussi donné des recommandations dans ce domaine ? »

Manipulera bien qui manipulera le dernier ft. @Calliope Muller | 15.12.22

« Ce n’est pas rare, oui. Mais lorsque je voyage, j’aime faire simple et me défaire des facilités offertes par la magie. Alors même si la chaleur est insupportable, elle reste un élément incontournable de ce pays qu’il est intéressant de tester au moins une fois. Pas au point d’en mourir, bien sûr. » Et il en allait de même pour l’Antarctique. Arthur ne comptait pas mourir de froid là-bas par principe de vivre les choses jusqu’au bout… Mais il éprouvait un très grand intérêt pour la simplicité de vie des résidents de campagne dans ces contrées lointaines. Sa magie s’avérait toujours utile, sauf qu’Arthur avait appris que s’en passer apportait un autre type de satisfaction. Il n’allait pourtant pas se perdre en explications sur le sujet auprès de Calliope qui, potentiellement, n’éprouvait aucun intérêt pour cette façon de vivre.

« Je trouve ce continent intéressant. Bien que n’étant pas magizoologue, je suis curieux de voir de mes propres yeux ces paysages et la façon dont la faune se développe sur ses côtes. Ce n’est pas un lieu d’exploration culturelle comme peut l’être l’Egypte ou même le Pérou, mais je trouve cela fascinant. Au final, je ne suis peut-être que curieux. Curieux de poser le pied sur ces terres et de vivre, au moins une fois, cette expérience. » Tout le monde n’obtenait pas un laisser-passer pour cet endroit de paix mondiale, dédié à la science et à la survie de la planète. La moindre erreur pourrait modifier à tout jamais l'écosystème qui, déjà, était mis à mal par l’expansion naturelle du Soleil. Le temps n’était pas à une discussion scientifique et ils furent interrompus. Une fois la carte en main, Arthur la parcourut du regard tout en demandant son opinion à la jeune femme.

« Je vais probablement me laisser tenter par le parfait glacé à la liqueur de whisky. » Si cette entrevue ne devait mener nulle part, il aura au moins l’opportunité de goûter à un excellent repas ! Sur le même ton, leurs commandes furent passées et il attendit le départ du serveur - comme toujours - pour reprendre leur conversation.

« Comme tu as pu le constater, je suis un homme qui voyage beaucoup. Même si cela fait un moment que je suis en Écosse, je ne compte pas m’y éterniser. Je ne sais pas si ce rendez-vous sera amené à se dupliquer mais je me dois d’être honnête envers toi. Si c’est de la disponibilité que tu recherches, je ne serai pas en mesure de t’en offrir de manière régulière. » La question se posait donc : qu’allait-il advenir d’eux après ce dîner ? Arthur avait toujours en tête la mission qui lui avait été confiée et elle serait plus facile à mener à bien s’il continuait de côtoyer la Muller. Il supposait qu’elle-même pouvait tirer profit de leurs rencontres futures. Mais les choses devaient être claires dès le début : il n’était pas un pantin dont elle pouvait user à sa guise. Enfin, elle le découvrira bien tôt ou tard…