Il y avait des jours où il se demandait s'il avait choisi la bonne filière. Il n'avait pas pour but de se faire des amis, il ne s'était jamais engagé en médicomagie pour aider les autres, tout ce qu'il voulait, c'était obtenir la richesse et s'il y avait une chose dont la société aurait toujours besoin, ce sont des médicomages. Il s'en rendait bien compte aujourd'hui, il y avait longtemps qu'il n'y avait pas eu autant de patients à l'hôpital. Il avait passé la journée à courir sur les étages pour gérer les différentes urgences, sans parler du temps qu'il devait également passer avec les familles des patients qui ne comprenaient pas qu'il avait réellement pour but de prendre soin de leurs proches, même si son intérêt était principalement monétaire. (L'argent n'a pas d'odeur.)

Fort heureusement, ces moments de socialisation forcée ont été interrompus. Pendant une bonne partie de la journée, il avait été occupé à faire des points de suture sur une personne qui avait été attaquée par une créature magique. Marvin souhaitait se spécialiser en blessures causées par les créatures vivantes et si ça n'avait tenu qu'à lui, il aurait sûrement dit au patient que celui-ci venait de faire sa journée. Il termine les points de suture avec précision et avec le sourire, sous son masque. Il s'assure qu'ils ne soient pas trop serrés pour éviter que les cicatrices soient visibles et aussi, pour faciliter le travail de retrait des fils par la suite. Une fois les points de suture terminés, il laisse les infirmiers prendre la relève, et il se rend dans la salle de garde pour prendre une pause bien méritée après le travail qu'il venait d'effectuer. Il prend la tasse de Juliet qui est facile à repérer, c'est la tasse jaune avec un soleil sur laquelle il est écrit que la vie est belle. Il pourrait rouler les yeux devant tant de mièvrerie, mais Juliet est son amie et il l'apprécie comme elle est, même s'il ne lui dirait jamais. Il se fait un café, aussi noir que l'avenir de sa famille, s'assoit dans un fauteuil et soupire de soulagement, heureux de s'asseoir après plusieurs heures passées debout. Il sirote son café, noir, sans lait, ni sucre, appréciant l'amertume de la boisson.

Peu après, Juliet fait son entrée dans la salle de garde et lui dit qu'elle avait cru qu'il ne terminerait jamais avec ses points de suture. « Moi non plus, j'ai cru que je n'allais jamais terminer. J'ai rarement vu une personne se faire attaquer aussi sauvagement. Je n'avais presque plus de peau sur laquelle travailler. » Marvin était toujours égal à lui-même avec son humour noir et ses commentaires macabres. Il prend une gorgée de café. « Et encore, la nuit n'est même pas encore tombée, imagine l'état des urgences dans quelques heures, une nuit de pleine lune. » Effectivement, c'était les nuits où l'équipe de nuit devait gérer de nombreux patients qui avaient été attaqués par un loup-garou. Marvin en imite le cri. « Aouuuuh ! » avant d'éclater de rire.

Par la suite, son amie lui reproche d'avoir pris sa tasse. Il hausse les épaules. « Pourquoi je m'achèterai une tasse quand je peux prendre la tienne ? Je trouve qu'elle me correspond bien, non ? Tu ne trouves pas que j'ai la tête de quelqu'un qui trouve que la vie est belle, c'est ça ? » Il plaisante même s'il sait qu'il y a une part de vérité dans sa plaisanterie. Il n'a pas vraiment la tête d'une personne qui apprécie la vie, lui qui fait toujours tout pour les autres sans se soucier de sa propre personne.

Son amie prend une tasse qui appartenait sûrement à une autre personne du service dans laquelle elle se prépare une tasse de thé. La pièce sent soudainement la menthe et la verveine. « C'est de la tisane, ton truc, tu vas t'endormir si tu bois ça. Quoique... » Tandis que son amie s'installe sur un des fauteuils, il baille. « Notre garde est pratiquement terminée, plus que quelques minutes et nous pourrons enfin aller dormir. Que pourrait-il arriver de pire à ce point de la journée ? » Marvin parle.

Il ne s'attend pas forcément à ce qu'on lui prouve qu'il ait tort.  

Juliet grimace, mais quelles étaient les raisons d’une telle grimace ? Était-ce les paroles et l’humour de Marvin qui n’avaient absolument aucune place dans un milieu de soins où les patients se battaient pour leur vie ? Était-ce la propension de Marvin à prendre les choses qui ne lui appartenaient pas qu’il justifiait par son manque de ressources matérielles ou financières ? Était-ce simplement la menthe et la verveine qui n’étaient pas à son goût ? Dans tous les cas, le résultat était le même, Marvin ne s'en souciait pas, continuant de boire son café en regrettant le fait qu'il n'ait pas de cigarette à fumer pour aller avec la boisson. Il sent l'envie apparaître timidement dans son esprit, mais il la chasse aussitôt, il aurait tout le temps de fumer quand sa garde serait terminée. Un coup d’œil à l’horloge qui traîne dans la salle de garde lui permet de voir que sa garde serait terminée dans dix minutes, ce qui voulait dire qu’il en avait plus de fait qu’il ne lui en restait à faire.

Il fait son plus beau sourire quand Juliet lui dit qu'il est rayonnant. « Je suis ravi de te l'entendre dire. » lui dit-il sans souligner l’ironie dont elle avait fait preuve dans ses paroles et son humour qui n’avaient rien à envier au sien. Il pose son café sur la table basse. « Connais-tu le secret pour être aussi radieux ? » demande-t-il à la jeune femme. Il lui laisse un peu de temps de réflexion avant de se pencher vers elle, lui chuchotant à l’oreille. « Le bonheur est au travail ! »

Si c’était le cas, alors la salle de garde était en quelque sorte leur propre bulle de bonheur dans laquelle Juliet recherche un peu de chaleur, tenant sa tasse à deux mains, semblant apprécier tout particulièrement son infusion. Marvin recule sur le fauteuil et appuie son dos contre le dossier de celui-ci, baillant, marmonnant que leur garde était pratiquement terminée. D’une voix plutôt forte qui le sort un peu de sa torpeur, Juliet lui dit qu’il doit être malade pour dire des trucs pareils. Il lui répondrait bien qu’il n’y avait pas de meilleur endroit qu’un hôpital pour être malade, mais il ne souhaite pas tenter sa chance devant une Juliet en manque de sommeil qui le prévient déjà qu’elle le tiendrait pour unique responsable si leur garde devait se prolonger.  

Comme de fait, une biche argentée apparait dans la salle de garde, les avertissant qu’un patient venait d’arriver aux urgences avec une grosse infection. Buvant une dernière gorgée de café (pour la route), Marvin se lève et court en direction du patient, regardant derrière lui. « Du nerf, Juliet ! Tu me tiendras responsable quand on aura fini de prendre soin du patient ! »

Il pourrait lui glisser à l’oreille un véritable secret, pour cause, il en avait plein, mais il savait que la jeune femme ne s’attendait pas véritablement à cela, à force de faire de nombreuses gardes ensemble, ils avaient fini par se connaître et il savait bien qu’elle n’était pas aussi crédule que certains ne pouvaient le penser. Elle avait sûrement constaté sa petite moue sarcastique, mais elle était tout de même à son écoute, comme toujours, il avait envie de dire. Ce qui l’aurait fait soupirer quelques mois auparavant le fait maintenant sourire, il avait fini par apprécier ce trait de personnalité en sa camarade qui est plus à l’aise que lui dans de nombreux domaines de la vie, leur domaine de spécialité, pour commencer.

Elle lui demande si c’est ainsi qu’il séduit les infirmières et les externes, mais il ne répond pas à ce commentaire tout simplement parce qu’il ne sait pas comment répondre. Mal à l’aise, il se mord la lèvre inférieure. Le bonheur est au travail, il aime bien le dire lorsque les gardes deviennent longues et que ses camarades et lui se demandent quand ils pourront revoir la lumière du jour, mais il n’a jamais véritablement porté attention aux regards que les autres lui jetaient. Il se racle la gorge, passant sa main dans ses cheveux bouclés, ne sachant pas trop quoi dire, pour une rare fois, il était à court de mots, à court de cet humour qui lui était si particulier. Fort heureusement, ils sont distraits par l’arrivée d’une biche argentée. Prenant sa dernière gorgée de café, appréciant l’amertume de la boisson, il dit à sa camarade de se lever ce à quoi elle répond qu’elle le déteste. « Tu détestes surtout le fait que tu m’apprécies autant ! »

Il avait enfilé sa blouse en courant dans les couloirs, passant entre les patients, les proches et les infirmières, infirmière auxquelles il porte plus d’attention qu’à l’habitude, se demandant si sa camarade avait raison sur le fait qu’il les charmait. Il se fait répondre par un sourire de la part de l’une d’entre elles, ce qui l’horrifie et il reporte son attention sur sa course en direction du hall de transplanage où leur patient attendait. Juliet prend le contrôle de la situation, elle avait toujours eu un don pour la médecine magique, il devait le reconnaitre. Il y avait quelque chose qu’elle possédait que d’autres devaient travailler pendant de multiples années pour acquérir.  De son côté, il ne travaillait pas nécessairement aussi fort même s’il aimait bien répéter qu’il était venu là pour devenir le meilleur et le plus riche.

Le patient a clairement connu des jours meilleurs, il a le front en sueur, ce qui indique qu’il fait possiblement de la température, il est livide et les paramètres vitaux ne sont pas bons. « Nous allons essayer de vous occuper de vous. » rectifie Marvin qui n’aimait pas véritablement les fausses promesses faites à l’hôpital. « Bien que nous compatissions avec votre douleur et votre malaise. » s’empresse-t-il de rajouter, se rappelant de ses cours où il était important pour les futurs praticiens de faire preuve d’humanité envers leurs patients.  

Juliet affirme qu’ils vont faire une analyse toxicologique pour essayer de comprendre d’où vient l’infection. Alors qu’elle prend soin du patient, il jette un œil au dossier, mais est interrompu par le patient qui arrive, affaibli, à murmurer que l’analyse ne servira à rien. Marvin se rapproche de Juliet et lui murmure à l’oreille. « Dix gallions que c’est un toxico qui s’est infecté lui-même. »