Kerr est encore plus calme que d’habitude, et pourtant cette fois il n’est pas seul. Non, parce que désormais l’homme aux cheveux roux connus pour son caractère solitaire a laissé entrer quelqu’un dans sa vie, ce qui en étonnera plus d’un. Oui, au futur, car peu sont au courant de la relation entre le botaniste et l’auror australo-écossais. Kerr a tenu à garder cette relation secrète un moment, il ne voulait pas que toute l’université n’en parle, c’est son jardin secret, et il ne voulait pas faire la même erreur qu’avec Spencer. Avec ce dernier, il s’était rapidement affiché, dès la Pride suivante, et cela n’avait pas été une réussite, Kerr s’était senti affreusement gêné de tant de regards, et quelques semaines après l’homme avait totalement disparu sans laisser de traces ni de courriers. Non qu’il pense qu’Ian soit le même genre d’homme, il préférait tout de même prendre son temps, alors il le prenait. Mais après plusieurs mois de relations, il voulait faire plaisir à cet homme qui le rendait heureux. Leurs démonstrations d’affection n’étaient pas explosives, mais Kerr pensait souvent à envoyer des bouquets de fleurs à son petit ami, ce qui est assez facile quand on travaille dans une fleuristerie comme lui… Toutes les deux semaines, il envoyait un nouveau bouquet composé de fleurs fraîches et sauvages, de saison, et dans la mesure du possible venant d’Ecosse ou du Royaume-Uni, les fleurs importées, très peu pour lui.

D’ailleurs, son propre intérieur avait changé depuis que l’auror venait plus fréquemment dans son logement. Une nouvelle brosse à dents était apparue dans la salle de bain, et Kerr lui avait libéré un tiroir, pour éviter qu’il ne soit obligé de courir chez lui avant d’aller travailler. Et ce soir, c’était le bal de Yule. Une soirée mondaine, et même si Kerr n’était pas des plus appréciés dans la communauté des sang-pur de par ses origines de sang-mêlé, il voulait faire plaisir à Ian, alors il lui avait proposé d’y sortir, en amoureux. Ce serait leur première sortie « publique ». Kerr essayait donc de se rassurer comme il le pouvait, il avait donc passé la journée dans son potager pour le nettoyer et s’occuper de ces courges flottantes. Et là, il finissait de prendre sa douche, tandis qu’Ian devait être arrivé au bruit de la porte d’entrée qu’il venait d’entendre. Kerr lui avait donné une clé, il avait confiance. Il prit la serviette blanche qui était délicatement posé sur le lavabo, s’essuya rapidement, et la noua autour de sa taille, avant de rejoindre son petit ami dans la chambre.

A ghrá, tout se passe bien ? Tu as récupéré ton costume pour ce soir ?

L’anxiété était présente, certes. Mais Kerr ne le montrait jamais. A peine pouvait-on remarquer une ride de contrariété sur son front, à peine pouvait-on sentir la tension entre ses omoplates. Tout respirait le calme dans l’attitude de Kerr. Il était aussi calme qu’une plainte un matin d’hiver, quand de la brume émergeait timidement le soleil, comme si la nuit enveloppait encore ses nappes de sommeil les alentours. Kerr n’était pas un homme bavard, ni expansif. Il n’était pas extroverti. Mais il avançait, à son rythme. Et il avait eu la chance de tomber sur un homme qui comprenait ce caractère minimaliste en la personne de Ian. Pourtant, rien ne laissait penser que les deux hommes auraient peu s’entendre, l’un étant hyperactif comme le feu et l’autre semblable à la glace. Là où le feu symbolisait l’agitation, la glace symbolisait l’immobilité, la lenteur. Deux forces antagonistes, mais depuis qu’ils étaient ensemble, ils s’équilibraient. Kerr calmait Ian et ce dernier sortait l’écossais de sa coquille. Ils avançaient à leur rythme. Petit à petit. Et ce soir, ils sortaient à la vue de tous, dans un bal où toutes les familles seraient présentes. Kerr avait donné une clé à Ian. Une preuve de confiance, une preuve de partage. Aucun homme n’avait jamais eu les clés de chez lui, mais pour une raison qu’il ignorait, le botaniste se sentait éminemment en sécurité avec l’auror, il aimait les nuits qu’ils passaient ensemble. Il lui faisait confiance, suffisamment pour lui donner un double de ses clés, suffisamment pour ne pas avoir honte d’exposer son dos nu couvert de cicatrices, chose bien rare chez lui car il en avait toujours eu honte.

Alors que Kerr arrivait dans la chambre, il tomba sur Ian torse nu, avec un bonnet couvert de neige, et un jogging. Sexy comme tout, et l’écossais eut l’un de ses sourires à la fois énigmatiques et chaleureux. Une étreinte entre les deux hommes brisa le silence, ainsi qu’un baiser chaste mais sincère. Ils n’avaient pas le temps pour plus. Kerr tiquait toujours un peu quand il sentait les mains d’Ian s’approcher de son dos, mais il prenait sur lui pour ne pas surréagir. C’était un travail difficile, qui était permis aussi par les séances qu’il suivait avec le docteur Bennett. A la question de l’australo-écossais, Kerr sortit de sa housse son kilt, aux couleurs des Fraser, ainsi que le blazer noir qui allait avec. Une tenue traditionnelle, comme il aimait en mettre.

Le kilt des Fraser. Une manière de représenter ma famille, je doute qu’ils soient présents ce soir au bal, ils se sont tous dispersés…

Un sourire sur les lèvres, Kerr continua, tandis qu’il posait une main sur le torse toujours nu de Ian.

Garde ta chaleur pour plus tard mon beau, nous n’avons pas le temps de faire du sport avant la soirée. Si ça peut te donner des idées pour mieux patienter le retour de la soirée, dis-toi que comme tout écossais qui se respecte… je ne porterai rien dessous…

Kerr sourit et déposa un baiser dans le cou de son petit ami, avant de quitter sa serviette, dévoilant son corps entièrement nu, mais cachant pourtant rapidement cette vue en enfilant le kilt en tartan. Une ride apparut sur le front du rouquin.

Dis-moi, tu penses que je dois mettre cette écharpe en plus ou cela fait un peu trop ? Tu seras magnifique ce soir, j’espère être à la hauteur…

Kerr était quelque peu anxieux, il n’allait pas le cacher. Mais il savait qu’au fond, il agissait comme il le fallait. Il avait de réels sentiments pour Ian, et il aurait été ridicule de ne pas les assumer face aux autres. Non pas par esprit de revendication ou d’exhibition mais parce qu’il se considérait comme un homme normal, qui avait le droit d’aimer comme n’importe quel sorcier. Il ne voulait pas que les autres voient de différence, car à ses yeux il n’y en avait pas. De mémoire, il n’avait pas eu beaucoup de relations. Et rares étaient les sorciers à pouvoir dire qu’ils avaient Kerr en couple. Mais le bal de Yule était la parfaite occasion pour forcer le monde à les normaliser et les banaliser. Avec Ian, tout était simple. Il leur suffisait de se regarder pour se comprendre. Quand leurs yeux se croisaient, l’atmosphère dans la pièce changeait. Kerr le remarquait sans mal. L’air semblait se charger en humidité, ses lèvres semblaient se dessécher, son souffle devenait court et son cœur battait plus vite. Quand ils se regardaient, plus rien n’existait. Ce qui rendait toute discussion sérieuse compliquée, pourtant ils n’étaient plus tout jeunes, mais c’est comme deux lapereaux se croisaient dans un pré en fleurs au début du printemps.

Pour couper court aux pensées coquines de l’australo-écossais, Kerr lui montra le kilt qu’il porterait pour la soirée. Un kilt écossais avec le tartan des Fraser. Une manière pour lui, même si sa lignée était assez floue, d’assumer son appartenance à cette grande famille qui défrayait la chronique il y a encore assez peu de temps à Inverness. Aujourd’hui, la plupart s’étaient dispersés. Malgré la réserve naturelle de Kerr, il ne pouvait cacher que lui aussi avait certaines pensées moins sages avec Ian.

J’aime jouer avec tes nerfs, c’est drôle de te voir râler d’impatience. Et je suis suffisamment calme pour nous deux. Mais si tu veux prendre un bain glacé avant de partir par sécurité… je te laisse le choix.

Pour toute réponse, son compagnon l’aida à s’habiller, faisant preuve d’un calme olympien. Bien, pas d’écharpe, juste un discret mouchoir pour agrémenter sa tenue. Au fond, Kerr ignorait si Ian avait des couleurs pour sa famille, ayant des origines écossaises lui-aussi, car dans un tel cas il aurait volontiers afficher leurs couleurs à l’unisson.

Tu es un charmeur. Je sais bien que c’est toi qui plais. En tout cas, moi personne ne pourra m’approcher, nos mains seront scellées pour la soirée. Si je participe à ton habillage, nous risquons de perdre du temps, je vais nous chercher du whisky, j’ai encore une bouteille de la dernière cuvée Drummond si tu souhaites.

Joignant le geste à la parole, Kerr s’éloigne de quelques pas pour leur servir à chacun un fond de whisky. Le but n’est pas non plus d’arriver à la soirée complètement alcoolisés, alors le liquide ambré ne doit pas prendre le pas sur leur esprit. Kerr apprécie beaucoup cette cuvée, même s’il trouve que cela manque d’un peu de puissance boisée, mais il a toujours aimé les alcools très marqués par le végétal, un défaut de botaniste sûrement.

La branche écossaise de ta famille possède son propre tartan ? Tiens a chroi, ton verre. D’ailleurs, je suis sûr que le kilt t’irait à merveille, mais monsieur préfère rester traditionnel à ce que je constate…

Kerr n’avait pas l’habitude de ce genre de relations. Après tout, ses relations sérieuses n’avaient jamais duré très longtemps, il avait toujours eu du mal à laisser rentrer quelqu’un dans sa vie. Il s’y essayait, mais il avait souvent jugé que la compagnie des hommes était trop complexe alors il n’avait jamais fait beaucoup d’efforts. Une plante elle au moins n’a aucune exigence, aucune remarque ni reproche à faire. Alors que les hommes prenaient ombrage pour de menus détails. Surtout les hommes en fait, les femmes étaient en général plus diplomates, mais malheureusement pour Kerr, ou heureusement, lui-même ne savait pas quel qualificatif employer, il préférait les hommes. Et Ian avait l’air d’être particulièrement exceptionnel, Kerr n’avait jamais été aussi bavard qu’avec lui, c’était pour dire.

Les deux hommes finissent de se préparer, ils seront assurément parmi les plus beaux ou en tout cas les mieux habillés de la soirée. Ils feraient bonne impression. Alors qu’ils trinquent, prenant un peu d’avance sur le bal, Ian lui montre le tartan des McCavish, un très beau cocktail de bleu, de beige et de blanc, avec une pointe de rouge.

Votre tartan est magnifique, sobre et élégant, j’aime beaucoup. Ca met tes yeux en valeur. Et bien je tiens tes mots pour dit, et je saurai te le rappeler à notre prochaine sortie… Mais pas tout de suite, tu sais que je ne suis pas très porté sur ce genre d’événement, je préfère de loin une bonne soirée au coin du feu, dans tes bras. Trop d’agitation a tendance à me mettre mal à l’aise.

Kerr songe à l’idée de son amoureux. En voilà une bonne idée. Tout sourire, et dans le silence, il pioche le mouchoir dans la pochette de Ian, et l’échange avec le sien, placé dans sa propre pochette de costume. Ainsi, les deux portent les couleurs de l’autre, de manière discrète mais affirmée. Un symbole parfait.

Je pense qu’ainsi c’est parfait a chroi… Si tu es prêt je te propose que nous y allions ?

Et voilà le couple qui s’envole pour le bal… Un bal qui sera haut en couleurs.

[…]Ellipse temporelle jusqu'à la fin de la soirée[…]

La soirée était merveilleuse. De nombreux regards s’étaient retournés sur les deux amoureux, certains choqués qu’ils osent s’afficher ensemble, un couple d’hommes, franchement ? Pourtant, ils n’étaient pas les seuls à assumer leurs sentiments. Kerr en avait fait une victoire personnelle, pas contre les autres, mais pour lui et son goût peu prononcé des mondanités. Alors qu’ils s’écartent de la foule pour sortir sur le balcon, la soirée venant à son terme, Kerr en profite pour embrasser délicatement Ian.

Alors a chroi, qu’as-tu pensé de cette soirée ? Satisfait ?

Le tartan était un réel symbole pour les écossais, en tout cas ceux qui se souvenaient de leurs origines, des clans de leurs familles, et de l'importance que cela pouvait avoir plusieurs siècles auparavant. Kerr était un homme simple, son accident l’avait mené à privilégier les bonheurs les plus simples, la présence de ses proches, même s'il n'est savait pas le leur dire suffisamment, la botanique et le confort de son chez lui. Et récemment la présence de cet homme, qui partagerait maintenant son existence. Une cohabitation qui n’avait pas été facile pour Kerr, même si avec Ian, tout semblait simple. Évident. Il n’avait pas a réfléchir, c'est comme si l'aurore pressentait ses émotions, et même si cela pouvait être déstabilisant, le Fraser aimait cela particulièrement. Alors, quand il avait des pensées romantiques, ce qui ne lui arrivait pas souvent même s’il parlait davantage aujourd'hui que lors de leur première rencontre, il n'hésitait plus à les accomplir. Profitant de chaque moment simple tel qu'il se présentait. Partager son tartan avec Ian, c'était un symbole fort pour Kerr. En faisant cela, il affirmait qu’il partageait sa vie. Sans pour autant être trop démonstratif, une chose pour laquelle il avait encore bien du mal parfois. Donner la main. Embrasser en public. Ce n'était pas évident pour le Fraser, qui ne prenait jamais Isalynn ou Jimmy dans ses bras. C'est ce qui lui permettait de ne pas être cité par le Chineur certainement. Cette discrétion innée. Pourtant cela n’avait pas empêché son neveu Finnick d’y être confronté quelques années auparavant…

Sourire. Aimer. Ressentir. Des choses simples, il n’en fallait pas plus au Fraser. Il y avait une sorte de sérénité dans les gestes qu’ils échangeaient. Le calme avant la tempête… car il le savait, se montrer ensemble serait une autre paire de manche. Ainsi, quand Ian lui proposa d’y aller, il acquiesça sans mot dire. Ce n'était pas nécessaire. Inutile de verbaliser ce qui se voyait sur ses traits tirés. L’anxiété. Mais il était trop tard pour reculer, et c'était le moment pour eux de se montrer au monde.

*** Ellipse dans le temps, milieu de soirée ***

Les regards s'étaient tous retournés sur eux. Comme si tous savaient qu’ils devaient venir, ensemble. Là où les plus jeunes les regardaient avec respect et soutien, ils durent affronter les regards durs des sang pur de l’assistance. Mais Kerr ne faillit pas. Il affronte chaque regard. Chaque messe basse. Il était fier d'être ici. Il n'y avait plus qu'à aller de l’avant, et danser. Un moment à eux, comme si le reste du monde s'était éclipsé. Kerr se sentait aussi calme que dans son jardin, et cela grâce à la présence rassurante de Ian. Cet homme était parfait. Ils en avaient peu parlé mais l'auror avait beaucoup souffert par le passé. Le Fraser s'était demandé comment on pouvait faire souffrir un homme comme Ian volontairement. C'était inhumain.

*** Ellipse dans le temps, fin de soirée ***

Enfin, le calme. Quand les deux hommes s'étaient retirés sur le balcon, Kerr eut l'impression de pouvoir respirer de nouveau, sans le poids des regards des aigris. Ses épaules se détendirent, même si cela le fit souffrir, ses cicatrices se rappelaient à lui. Les deux hommes s’observsient, et cette promiscuité en plus de cette intimité rendait le moment magique, la main de Ian au creux des reins du Fraser. L'auror avait passé une belle soirée, ce qui rassurait Kerr.

Les regards de certains étaient durs… mais je ne regrette pas. Je suis fier d'être ton compagnon, c’est un vrai honneur. Mais si je dois être honnête, la plupart du temps, je songeais au moment où nous pourrions nous retirer pour davantage d'intimité… je ne suis pas fait pour me donner en spectacle… enfin tu comprends ce que je veux dire.

Un baiser, et la tête lovée dans le cou de Ian. A deux ainsi ils étaient bien. Même s’ils seraient encore mieux au chaud, chez l’un ou l’autre.

Est-ce que ça te va si nous nous éclipsons ? Je pense que je suis à bout de force de supporter tant de monde et de bruit... Chez toi ou chez moi ?