La griffe de l’hippo était l’une des meilleures librairies sorcières d’Inverness, j’aimais beaucoup m’y rendre et je devais bien avouer que lorsque je m’y aventurais, je mettais parfois plusieurs heures à en sortir, avec une pile de livres honteuses dans les bras. J’avais d’ailleurs pris l’habitude désormais de toujours emmener avec moi mon tote bag sans fond, enchanté exprès, pour pouvoir y placer tous mes achats sans que cela ne soit ni trop lourd ni trop volumineux à porter. Aujourd’hui, je cherchais un livre sur l’interaction entre les potions et les humeurs, toujours pour mes projets de thèse bien sûr, n’ayant rien trouvé de bien intéressant à la bibliothèque universitaire, et j’avais commandé un livre ici, qui devait être arrivé. Il s’agissait d’un vieux grimoire, rédigé par un sorcier allemand contemporain, connu pour ses théories un peu folles et notamment son intérêt pour l’action de l’amortentia sur les décharges hormonales dans le cerveau. De quoi, je l’espérais, enfin me donner des réponses pour finir de stabiliser mes cristaux d’émotion. J’arrivais à la fin de ma thèse, dans quelques semaines j’allais devoir la présenter devant les professeurs, et je stressais un peu à vrai dire. J’étais parvenu, à force d’expériences, à concevoir un protocole alchimique de captation des émotions, comme je le souhaitais, mais ça n’était pas suffisant. En tout cas à mes yeux. @Cataleya Blackthorn m’avait donné des idées pour aller plus loin dans mon idée, mais je n’aurais pas le temps d’étudier vraiment la chose avant la fin de ma thèse. A vrai dire, j’envisageais même une seconde thèse désormais, sur les capacités vibratoires des métaux alchimiques, pour concevoir enfin un attrape-émotions.

J’avais l’ouvrage sous le bras, mais je cherchais d’autres lectures, et j’étais d’ailleurs en train de m’intéresser à un roman qui venait de sorcier, à la couverture blanche et doré, sur une histoire d’amour entre un fantôme et un sorcier. Je n’avais encore jamais lu de romance gay, mais j’avoue que la quatrième de couverture m’intéressait beaucoup. J’étais tellement plongé dans ma lecture du résumé, que je ne compris pas tout de suite que l’on s’adressait à moi. Je finis pourtant par lever les yeux. Il est beau. Bon d’accord, je ne prête pas souvent attention aux physiques, que ce soit féminin ou masculin, mais je dois avouer que cette fois, je trouve l’homme devant moi particulièrement séduisant. C’est sûrement son côté un peu gauche, un peu confus et gêné, qui le rend craquant. Bien entendu, je le pense sans aucune arrière-pensée, il est juste beau. Il doit plaire, assurément. Mais je ne comprends pas de quoi il me parle… Duncan Delapplication ? Quel drôle de nom.. Je ne sais pas quoi répondre, alors faisons confiance à mon inspiration de lufkin ?

Salut Duncan, et bien moi c’est Jules de Gray, enchanté de te rencontrer ! Je ne sais pas si tu es en retard… c’est assez calme ici donc je suppose que non ?

Je suis venu à la librairie sans regarder s’il y avait une dédicace ou non. Ca doit être de ça dont parle l’homme en face de moi. Non, qu’il se rassure, il n’est pas en retard pour la dédicace, il n’y a encore personne. Sûrement par rapport à ce roman que j’ai entre les mains, il a dû me prendre pour un fan de l’auteur ! Ca explique tout !

En tout cas, je ne sais pas si tu as déjà lu ce bouquin, mais il a l’air très sympa, je vais sûrement l’acheter aussi !

Je ne me rappelais pourtant pas que la librairie ait annoncé quelque événement que ce soit, mais je devais bien avouer qu’avec la fin de ma thèse, j’avais parfois l’esprit ailleurs, peut-être à force de respirer des vapeurs alchimiques dans mon laboratoire aussi, cela n’aurait rien d’étonnant. Je ne voyais aucune autre explication logique aux propos incohérents du garçon en face de moi. Maintenant qu’il avait attiré mon attention, je ne pouvais m’empêcher de l’observer, avec cette attention que seuls les scientifiques peuvent avoir, avec un sens du détail qui pourrait presque se montrer gênant s’il était verbalisé. Alors que ses lèvres bougeaient, j’observais ces deux interstices charnues et rosés, ou encore les lignes de ses mandibules, parfaites, qui se découpaient sur le bas de son visage. Mais mon attention était vite captive de ses yeux, des yeux clairs perçants qui captaient la lumière et l’y enfermait. C’est à peine si je fais attention à la couleur de ses joues, sinon j’aurais vu qu’elles avaient rosi. Notre contact visuel se rompt finalement quand Duncan détourne timidement le regard. Je ne voyais pas pourquoi je l’aurais attendu pendant des heures… sachant que je ne l’attendais pas et que je ne le connaissais même pas. Mais son air perdu me plaisait bien, c’est comme si sa timidité faisait disparaître la mienne. Je ne sais pas trop quoi répondre, mais heureusement on dévie assez vite la conversation sur le livre que je tiens entre les mains. Je le tourne et le retourne plusieurs fois avant de le tendre à Duncan, pour qu’il puisse l’observer. En y repensant, « faire ma connaissance depuis le temps », peut-être qu’on s’était déjà croisé à la bibliothèque de l’université ? Ca doit être ça bien sûr, mais je suis tellement dans mon monde quand je suis là-bas que j’ai dû rater un sourire ou un bonjour de sa part, il faut que je me rattrape. C’est la seule raison logique pour laquelle il veut mon avis sur le bouquin, peut-être croit-il que je fais partie d’un club de lecture ?

Euh oui bien sûr je peux te faire un retour sur le sujet. J’avoue que je ne lis pas trop de genre de romance à l’origine, mais je me dis que ça ne peut qu’être positif pour acquérir de l’expérience dans ce domaine.

Par domaine, j’entends les relations humaines. Pas l’homoromantisme… Même si le quiproquo peut très rapidement se faire. Son sourire en tout cas, est charmant. Je le lui rends, et cette fois c’est moi qui rougis un peu. Je repense aux mots de Rafael d’il y a quelques semaines, c’est vrai que j’ai peu d’expériences, et pourtant c’est essentiel pour comprendre comment naît une émotion aussi intense que la joie. Je pensais notre discussion terminée, mais Duncan me propose de s’asseoir dans un coin de la librairie. Sans un mot, confus, je le suis avant de m’asseoir dans l’un des sièges. J’ai toujours le livre en main. Un petit silence s’installe, que je finis par briser.

Comme je te disais, je lis assez peu de romance, d’ordinaire je compulse plutôt de vieux grimoires sur les potions, les herbes, l’astronomie ou l’alchimie, ma spécialité. Et toi tu as quoi comme lecture ? Je t’imagine bien lire plutôt des romans policiers, je ne sais pas pourquoi, ou alors des ouvrages scientifiques de médicomagie ? Désolé, j’ai la mémoire un peu défaillante.

Si on s’était croisé à la bibliothèque, j’aurais dû savoir quelle spécialité il suivait à l’université, mais aucun souvenir ! Diantre ! J’allais passer pour un snob…


En tout cas, je ne sais pas si tu as déjà lu ce bouquin, mais il a l’air très sympa, je vais sûrement l’acheter aussi !