Vole petit poulet

Troisième fois qu'Esme remarquait cette plume. Elle la fixait tout en se demandant ce que cela pouvait bien être. Elle changeait de couleur, certes, mais en fonction de quels paramètres ? Les émotions de sa détentrice, peut-être ? Ce fut sa seule hypothèse. En tout cas, l'objet l'intriguait de plus en plus, et elle se promit d'obtenir une réponse sur sa nature avant de quitter son amie pour rejoindre le quatrième étage. Les questions de la Ethelred vinrent couper court à l'observation de son collier. Esme releva les yeux, et eut un sourire en coin en l'entendant. "Tu vois, tu viens encore d'en poser trois, des questions", lui fit-elle remarquer en riant. Pour le lâcher prise, il allait encore falloir du travail. "C'est une expression", commença-t-elle à expliquer. "Je veux dire que les émotions se ressentent, dans le cœur, dans le ventre, elles ne sont pas issues de décisions rationnelles au niveau du cerveau, et par conséquent, elles appellent à un jugement plus instinctif que cérébral". Encore fallait-il savoir écouter son instinct, et pour une pile à réflexion comme Abigail, cela pouvait s'avérer compliqué.

La phrase suivante surprit la Lufkin. Non, ça ne lui était pas douloureux. Abi serait-elle au courant de la difficulté avec laquelle Esme avait surmonté sa rupture avec Zeno ? Savait-elle que c'était la raison même de ses absences répétées en cours, qu'elle sortait d'une dépression ? Le bruit avait peut-être couru dans la classe d'astronomie. Sûrement, même. Mais maintenant, elle ne souffrait plus. Plus autant. Et elle pouvait très bien parler d'amour ; à vrai dire, elle n'en avait jamais abandonné la quête. Elle lui signifia d'un geste qu'il n'y avait aucun problème à ce qu'elles poursuivent cette conversation, puis conseilla sa camarade : "Retiens juste ça : écoute ton cœur, d'accord ?". Esme lui souriait, attendrie par cette Abi si pure, si perdue dans ses sentiments. Elle était contente pour elle, encore curieuse de l'identité de la personne qui faisait battre son cœur, mais n'en demanda pas plus. A la place, elle posa la question qui la taraudait depuis le départ : "C'est quoi, cette plume ? C'est joli".

La Lufkin défit sa queue-de-cheval, rangea son élastique dans son sac ainsi que son balai. Elle épousseta ensuite sa cape, et remit droit l'insigne de sa maison, qu'elle arborait fièrement sur sa poitrine. 

Codage par Libella sur Graphiorum

Je rougissais à la remarque de mon amie alors qu'elle éclatait de rire. Ah ben crotte, elle avait raison, voilà que je m'emportais dans les questions alors qu'initialement je ne voulais pas la déranger. Je me recroquevillais un peu sur moi-même, gênée par cette nouvelle révélation. J'étais si obsédée par ce qui m'arrivait que je n'avais pas pu m'empêcher d'en parler, même si ce n'était qu'à demi-mot. Et je savais qu'Esme n'était pas née de la dernière pluie, elle avait donc parfaitement deviné ce qui m'arrivait, j'en étais persuadée.

- Excuses moi…

Clignant frénétiquement des yeux, j'essayais de rassembler mes esprits alors que je réalisais que petit à petit, j'étais véritablement en train de me faire à l'idée que oui… sûrement... sans doute que j'étais amoureuse…  Mais en avais-je seulement l'autorisation et surtout le droit ? Je déglutissais avec nervosité alors que j'écoutais les compléments de ses explications. Plus émotionnel que cérébral… C'était facile à dire dans une situation normale, sans doute… et sûrement même que j'aurai agis de cette manière-là avec les personnes qui auraient pu m'intéresser, et avec qui ça aurait pu être possible. Mais dans ma situation, tout était différent, et il me fallait, que je le veuille ou non, faire usage de mon bon sens. Et c'était peut-être ça qui me pesait le plus. Ne pas pouvoir laisser libre cours à mes sentiments et à mes envies. Néanmoins, pour ne rien montrer de mon désarroi à mon interlocutrice, je hochais la tête en me mordillant la lèvre inférieure en signe de nervosité. Je voudrais lâcher, tout abandonner, et me laisser aller… mais je ne le pouvais hélas pas.

Pourtant, elle ne commentait pas concernant la douleur qu'elle aurait pu vivre d'une situation amoureuse. Ainsi… on pouvait sans doute s'en remettre ? Je n'avais pas prêté attention aux rumeurs la concernant. Je la côtoyais de loin depuis Poudlard, et depuis ces années, elle avait gagné mon estime. Si Esme avait eu une absence, ce que j'avais vaguement remarqué dans nos quelques cours en communs, c'est qu'elle avait eu une excellente raison. Je la savais trop studieuse et appliquée pour que la raison soit futile.
Toutefois, vu ma perte de bon sens dans l'immédiat, je n'étais pas certaine que je puisse me remettre d'une rupture, ou déjà, d'un refus. Les dragons m'avaient toujours attirés de cœur et de corps depuis ma naissance… ici… c'était mon âme qui était aspirée, comme si chacune de mes molécules bouillonnaient, et s'étaient réservées durant plus de vingt ans pour cette personne précisément. À son dernier conseil, je ne pouvais m'empêcher de fermer les yeux et de pousser un long soupir. J'étais reconnaissante du temps qu'elle avait pris pour moi et pour me conseiller. Je la regardais ensuite, souriant amicalement.

- Entendu, merci beaucoup.

Écouter son cœur… encore une fois c'était plus facile à dire qu'à faire dans ma situation. Mais qui sait, peut-être qu'un jour j'y parviendrai… même s'il n'y aurait plus rien de raisonnable à ce moment. Rien.
Fort heureusement, elle changeait de sujet en venant parler de ma plume. Ses coups d'œil sur l'objet ne m'avait pas échappé, pourtant  j'avais oublié que je la portais, trop habituée déjà… et surtout, trop concentrée sur autre chose… Car après tout, si j'avais commencé à ressentir un sentiment amoureux, et que je l'avais réalisé, c'était avec cette plume. Quelle lubie m'avait donc prise pour que je l'enchante de cette manière ? Des fois je n'avais pas l'eau chaude à tous les étages… peut-être… que sans elle, je ne serai pas en train de vivre tout ça. Et à cette pensée, je venais à en regretter ce que j'avais pu faire… Je regrettais ma liberté sentimentale.
Baissant les yeux sur la plume qui valsait entre mes bras, je me redressais pour décrocher la chaine à ma nuque, puis lui tendre, l'objet étant alors à nouveau arc-en-ciel.

- Je me suis rendue en Louisiane il y a quelques semaines. Je l'ai trouvée… et l'ai enchantée.

Je lui laissais donc l'occasion de la prendre. Tant qu'elle la tiendrait par la chaine, la plume gardera son aspect multicolore initial. Dès qu'elle entrerait en contact avec sa peau, elle viendrait se colorer des émotions du porteur.

Vole petit poulet

Ne pouvant que constater le néant de sa vie amoureuse depuis les neuf derniers mois, le fait qu'Esme se soit retrouvée en donneuse de conseils sur le sujet était pour le moins ironique. Sous les yeux pleins de doutes d'Abigail, elle se sentait comme un oracle, alors qu'il n'y avait eu, en vérité, rien de bien spectaculaire dans ses propos. Alors que la Ethelred la remerciait, concluant ainsi cette parenthèse émotionnelle, la Lufkin se dit qu'elle était ravie d'avoir pu l'aider. Romantique comme elle était, Esme se félicitait que l'on puisse encore, surtout à l'université, parler d'amour naïvement. Elle avait de plus en plus l'impression que les interactions amoureuses des jeunes de son âge se limitaient à présent à des aventures décousues, et bien qu'elle respectât les vagabondages amoureux de certains, parfois les enviait même, elle déplorait sa propre quête de l'âme sœur, qui semblait de moins en moins réaliste. Dans ses moments pessimistes, l'étudiante se disait que le mariage était peut-être obsolète ; que l'amour éternel ne faisait plus rêver qu'elle, et que les autres aspiraient maintenant à des relations plus libres, auxquelles elle savait ne pas pouvoir survivre. Elle avait besoin de l'engagement suprême, celui conté dans les livres pour enfants, celui vécu par ses idoles, les hommes et femmes d'un autre temps à propos desquels elle adorait lire.

Devant Abigail, en cet agréable début de soirée, Esme était toutefois aux antipodes de ce genre de mélancolie. Suite à l'expression de sa curiosité  par rapport à la plume, sa camarade détacha le collier de son cou pour le lui tendre. Esme enserra les extrémités de la chaîne dans son poing droit ; main tendue, le pendentif lui arrivait au niveau des yeux, et arborait les couleurs de l'arc-en-ciel. Elle desserra ensuite ses doigts et laissa la chaîne glisser dans le creux de son autre main, relevant la tête vers Abi alors que celle-ci l'informait de l'origine du bijou. "Les couleurs... correspondent à des émotions ?", s'enquit la jeune femme, ne voyant pas de quoi elles pouvaient témoigner d'autre. De plus, la façon dont Abi semblait perdue face aux siennes aurait rendu très cohérent l'usage d'un tel charme.

Esme entrouvrit sa main, et constata que la plume, au contact de sa paume, avait pris une teinte orange foncée. Ne sachant pas ce que cette couleur signifiait, elle montra l'objet à Abigail en tendant le bras.

Codage par Libella sur Graphiorum

Je le regardais prendre avec curiosité ma plume, un fin sourire aux lèvres. Je me rappelais pourquoi j'avais utilisé ce sortilège sur cet objet, et de la réaction de la personne intéressée. Je ne pouvais m'empêcher d'en pousser un léger soupir las alors que j'observais ma camarade fixer le pendentif avec une certaine attention. C'est ironique… comme des fois il était possible qu'une personne réagisse d'une certaine manière, mais que au final, c'était celle que nous attendions le moins qui le faisait. J'en ressenti un léger pincement au cœur. Évidemment, je ne pouvais que porter attention à ce genre de détail dans mon état. Pourtant, je passais vite outre à la question de la bleue, mon sourire s'élargissant timidement.

- Oui. Je me suis amusée avec un sortilège.

Amusée, c'était bien le mot. Ça avait également été clairement intéressé. Comme si j'avais eu l'intuition que tout allait changer dans ma vie et qu'il me fallait trouver une solution… ou plutôt un déclencheur. J'ignorais quel rôle tenait cet objet dans ma vie au juste, mais j'étais certaine qu'il avait eu une raison d'être. Et que c'était encore le cas maintenant.
Baissant mon regard sur la paume de la main qui m'était tendue, je voyais la couleur et élargissait mon sourire, amusée, avant d'attraper la chainette.

- Bien-être et lucidité… ?

Je fixais mon amie avec un regard taquin, mais aussi quelque peu interrogateur avant de remettre le pendentif à mon cou. Alors que la plume venait tapoter contre mon avant-bras tandis que je rattachais la chainette, elle devint bleutée, blanche mais aussi un peu verte. Mon mal-être pouvait être visible aux yeux de n'importe qui, or, je n'étais pas dupe. La plupart des gens ne savaient pas lire, ni voir ce qui était évident. Ils ne savaient pas où regarder. Pour Esme, j'avais donné la direction, mais j'étais persuadée qu'elle aurait bien finit par trouver toute seule l'origine des changements de couleur de la plume. Peut-être même l'avait-elle comprise avant de m'avoir posé la question.
Gardant un instant de silence, je détournais mes yeux sur le stade en le contemplant dans son ensemble. J'appréciais le calme qui y régnait, alors que les jours de match, c'était une véritable foire. Tout le monde hurlait. Moi comprise lorsque l'équipe des Ethelred jouait. Au moins… c'était vivant. Et encore une fois mon esprit ne put s'empêcher de vagabonder, de faire un rapport entre mes souvenirs de Quidditch et ce qui me préoccupait le plus. Je soupirai longuement. Il fallait que je parle à ma sœur. Ça devenait urgent. Revenant sur Esme, je la fixais calmement en rompant le silence.

- Désolée, d'avoir pris de ton temps alors que tu souhaitais te détendre…