C’est une blague? songea Isalynn en voyant arriver le secrétaire de l’université en face d’elle. La jeune femme qui n’avait déjà pas envie d’être là allait devoir se coltiner l’ennuyeux pour ne pas dire autre chose. Elle leva les yeux au ciel avant de détourner le regard. Sérieusement, il n’y avait pas moyen d’avoir quelqu’un d’autre? N’importe qui? Même le vieux là, d’au moins soixante ans avec cette collégienne aurait fait l’affaire! Mais non. Apparemment, elle était coincée. Un juron murmuré en gaélique s’échappa de ses lèvres tandis qu’il la saluait et s’installait en face d’elle. “Bonsoir, Monsieur Chaffinch” répondit-elle simplement. Elle ne rajouta rien, parce que non, vraiment, repenser à cette colle injustifiée qui lui avait fait perdre une journée entière de salaire alors qu’elle n’avait raté qu’une demi journée de travail, ça l’énervait. Le pire, c’était que quand elle lui en avait fait la remarque le jour-même en arrivant, comme quoi, ça ne se faisait pas de coller quelqu’un lors d’une soirée pour le lendemain surtout quand ce quelqu’un avait un travail à côté et qu’elle allait avoir une retenue de salaire, il avait juste trouvé à dire qu’elle y réfléchirait la prochaine fois avant de laisser ses émotions prendre le dessus. Et puis quoi encore! Passablement énervée, la rousse lui avait rétorqué qu’il ne devait pas avoir beaucoup d’amis pour ne pas comprendre que quand l’un d’eux est humilié en public, on prend sa défense.. Si sa réplique avait fait mouche, elle n’en avait pas la moindre idée. Elle n’était pas retournée voir le secrétaire après. Mais elle l’avait fait, sa retenue. Elle les avait trié, ces foutus documents qui ne servaient à rien: les registres des inscriptions à l’université depuis le XVIIIe siècle. Et puis quoi, encore? Elle y aurait volontiers foutu le feu, ceci dit. D’autant que ça aurait dû être Jazmin, à sa place. Parce que c’était elle, la responsable, au fond. Si elle n’avait pas embrassé un autre homme que le père de ses bébés en public, Isalynn n’aurait jamais fait un scène. “Vous ne m’avez pas manqué, bizarrement…” ajouta-t-elle pour bien lui faire comprendre qu’elle n’avait aucune envie de devoir se plier à cette mascarade.

Sauf qu’elle n’avait pas le choix, bien sûr. Et qu’il se sentit obligé de mentionner Murphy. Le coeur de la rousse se serra un instant et il lui fallut prendre le temps de compter pour reprendre une respiration normale. “Elle n’est pas là.” dit-elle d’un ton sec. “Elle est en convalescence. Elle est sortie de l’hôpital il y a deux jours.” Elle marqua un temps de silence avant d’ajouter, en fusillant le secrétaire du regard comme si c’était de sa faute: “A cause des souterrains, sous l’université.” La serveuse revint alors, posant deux tasses de thé fumantes devant eux. “Tenez… Je crois que ça vous fera le plus grand bien.”

Qu’est-ce qui m’attendait cet après-midi? Je ne savais pas, mais je n’étais guère enthousiaste, au contraire. Après mes déboires amoureux: Malcom, Théodore et même mon rendez-vous avec Curtis, pour le bal, je n’étais pas certaine d’avoir encore envie de me frotter à ce genre de chose. C’était triste, d’être blasée à dix-neuf ans et demi. Surtout, J’accusais encore le contrecoup de l’enterrement d’Autumn qui avait eu lieu le samedi précédent. Rien que d’y repenser, j’avais envie de pleurer. Je m’efforçais de chasser ça de mon esprit en me rappelant ce que sa mère m’avait dit: que je devais vivre pour Autumn. Je reniflai et pris un mouchoir pour m’essuyer le nez - mine de rien, j’avais été bien élevée - et trempai mes lèvres dans le théavant que mon attention ne soit attirée vers une jeune femme qui se dirigeait vers moi. Non! C’est quoi cette blague? Je paniquais, littéralement. J’avais déjà eu mon quota de filles qui étaient sensibles au charme des semi vélane. Pas une de plus Non! NON! songeai-je. Je regardai à gauche et à droite, cherchant une échappatoire.

Mais c’était trop tard. Le thé commençait à faire son effet. Au bout d’une fraction de secondes, je me demandais pourquoi c’était si terrible que je me retrouve face à une femme. Pourquoi avais-je aussi peur, d’un coup? Au contraire! Elle ne me connaissait pas, elle ne savait pas ce que j’étais, n’était-ce pas une bonne façon d’entamer quelque chose? Je lui adressai un sourire angélique, un brin séductrice ce qui ne me ressemblait nullement, en papillonant des yeux. “Je m’appelle Grace. Je crois que le destin nous a mises ensemble?”

Amortensia in the air

Samedi 12 janvier

T’aimes séduire, Mercy. C’est un de tes jeux préférés. Mais le grand amour, tu n’y crois pas. Tu as toujours été du genre, coup d’un soir et rien de plus. Pourtant, là, en face de cet homme d’âge mûr, tu sens ton coeur qui s’emballe. C’est la première fois que tu ressens ça. T’as pas l’habitude, mais tu ne te laisses pas désarçonner pour autant. Au contraire. Ca te donne envie de creuser davantage. “Enchantée, Ambroise. Et non, tu ne pourrais pas être mon père… J’ai trente ans!” Tu ris. Tu enjolives un peu la situation, mais ce n’est pas si faux… Dans trois mois et demi, tu changes de dizaine. Un changement qui te fait peur, un peu d’ailleurs. trente ans, les responsabilités, l’âge de se poser pour de vrai. “Je suis infirmière à Hungcalf. Et toi? Que fais-tu dans la vie?” demandes-tu avant de préciser que: ”La différence d’âge ne me dérange pas, tu sais… Au contraire… C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes.” ajoutes-tu avec un clin d’oeil. Tu te retiens de tendre la main vers lui. Tu n’as pas envie de l’effrayer, sur ce coup. T’es pas en soirée où tu veux juste ferrer un mec pour la nuit.

Cette rentrée n’est pas des plus reposantes. Je n’ai pas vraiment réussi à me reposer durant les vacances, j’ai eu du mal à travailler pour préparer les examens. Svein est revenu, enlevant un poids de ma poitrine, qui me pesait depuis septembre. Depuis qu’il était parti. L’inquiétude n’est plus là. Mais tout le reste n’a pas changé. Je suis encore plus perdue qu’avant dans la tornade de mes sentiments. Mais la résolution que j’ai prise le soir du nouvel an, de ne plus me laisse faire par les autres, est toujours ancrée dans ma tête. Les examens sont terminés, il est temps de me reposer.

Le flyer volant dans ma direction à la sortie du château m’attire l’oeil. Des pâtisseries à prix bradés ? Quelle bonne idée. Un peu de sucre me ferait beaucoup de bien. Alors je me rends à la Moufette Enchantée. Il y a bien longtemps que je n’y ai pas mis les pieds, mais j’avoue que j’aime parfois déguster leurs cupcakes. Ouvrant la porte, je suis accueillie par des odeurs toutes plus attirantes les unes que les autres. Une statue me tend un bout de parchemin. Fronçant les sourcils, je regarde ce qu’il y a inscrit dessus. Un numéro. Avançant un peu plus, je me fais escorter jusqu’à une table. Mais que se passe-t-il ?

EDIT :
Il y a déjà quelqu’un d’installé. Muller. Et pas le bon Muller. Yeux qui s’arrondissent d’effroi. Je me tourne vers la patronne. “Non, vous avez dû vous tromper de table.” Mais elle me pousse et me force à m’asseoir en face de lui. Je déglutis avec difficulté. “Bonjour, Sasha.” Evitant de croiser son regard, je me retrouve à contempler mes mains, sur mes genoux. “Je voulais juste manger un cupcake.” Air de petite fille qu’on a pris les mains dans le sac en train de voler un bonbon. Pourquoi devrais-je me sentir coupable d’être ici, en face de lui ? “Un petit thé ?” La propriétaire du salon pose deux tasses fumantes devant nous. Essayant de fuir le plus possible la situation dans laquelle je me retrouve, je porte hâtivement la tasse à mes lèvres.