Myrddin Wyllt District au petit jour, le calme des couche-tard, très tard, et lève-tôt. Il fait encore froid en cette fin d’hivers et un petit brouillard se lève sous les lueurs du soleil qui emplissent les rues. Chesten transplane de coins en coins dans un pop que tout sorcier reconnaîtra. Elle s’arrête à chaque petite cachette où elle dépose de la nourriture pour les chats errants, ceux qui ont faims. Des endroits où elle en a aperçu une ou deux ombres félines au fil des mois, une maigre offrande pour ceux qui s’échappent en la voyant. Elle n’a pas encore pu en approcher un. Les matous se cachent par peur ou habitude de la rue. Il faudrait encore de longues semaines pour qu’ils acceptent ne serait-ce qu’une caresse. Un dernier stop et elle passe à la boulangerie qui vient juste d’ouvrir. Aujourd’hui, c’est jour de livraison, un large stock va arriver et ils vont avoir besoin de munition pour tenir.

Elle prend un assortiment de viennoiseries, connaissant l'inclination de son boss pour le sucré et continue son chemin vers l’animalerie. A plusieurs moments, elle entend du bruit derrière et se retourne dans un sursaut mais tout semble normal. Déjà, des badauds sortent de chez eux ou y rentrent et le quartier s’anime dans le silence de la matinée. Elle arrive à l’arrière de la boutique et fait un passage rapide aux deux étages. Tout semble en règle d’un premier coup d’œil et la plupart des animaux dorment encore. Elle fait de son mieux pour ne pas les déranger en faisant couler du café dans la salle de repos. A l’ordre du jour, promenade, il faut nourrir donner de l’eau à tout ce beau monde, nettoyer et tout en s’occupant des livraisons qui vont arriver par vagues et toute la liste jusqu’à l’ouverture. Un bref regard au registre et elle descend une tasse tout en regardant par la fenêtre. La Summerbee devrait avoir le temps avant le premier livreur et son patron n’allait pas tarder. Au coin de la rue, elle semble voir une silhouette haute sur pattes et aux oreilles pointues mais qui disparaît lorsqu’elle y regarde de plus près.

Elle ferme derrière elle, laissant les viennoiseries bien en évidence, la lumière allumée et elle file avec les canidés pour faire le tour du quartier. Cela va assez vite, comme généralement le matin. Elle préfère éviter le soir et leur fait faire un tour dans leur enclos magique où ils peuvent courir à souhait mais, le matin, à la fraîche, elle aime bien les sortir. Lorsqu’elle revient, un livreur de nourriture est déjà là. Il laisse la livraison près de la porte et elle lui signe son bon après avoir compté les paquets. Tout le monde de retour dans son enclos, elle passe à nouveau en salle de repos, il lui faut au moins un autre café avant de démarrer.

_ Kaiden ? Beitris ? Vous êtes là ? chuchote-t-elle en rentrant dans la pièce. Si son patron est arrivé durant son absence en compagnie de son fidèle corbeau, il sera surement là où elle a laissé les pâtisseries, près de la machine. Au dehors, une boule de poil à la queue de lion et au regard plein de suspicion vient d’éventrer un des sacs récemment livré et se nourrit sans vergogne.

La Summerbee l’entend descendre les marches et lui rend son sourire matinal. _ Normal, faut des forces pour les livraisons. On a déjà reçu les croquettes. Elles sont dans l’allée, dehors. Dit-elle en faisant un geste vague vers la ruelle visible derrière elle par la porte qu’elle a laissé ouverte. La jeune femme attrape sa tasse et se ressert à la suite de son patron, levant légèrement la tasse comme pour trinquer avant de la porter à ses lèvres. Sa marche à la fraîche la réveille mais bien de mieux qu’un bon café pour finir le travail. Un brin tenté par les douceurs de la boulangerie, elle ouvre le paquet et regarde les viennoiseries qui s’y trouvent. Délaissant chocolat et fruits, elle attrape finalement le dernier croissant.

La boutique s’éveille également, elle entend diverses miaulements et hululements, signe qu’il va bientôt falloir nourrir tout de beau monde. Beitris fait alors éruption dans la pièce et s’indigne immédiatement. Se serait-elle levée de la serre gauche ? Elle regarde tour à tour l’oiseau et Kaiden dans leur échange. La Summerbee ne connait pas assez le corbeau pour savoir ce qui la dérange. Elle lui aurait bien proposé un bout de son croissant mais l’animal ne semble pas intéressé par les humains et garde son regard bien fixé vers la porte qui donne vers l’extérieur. Chesten attrape la poignée et finit d’ouvrir l’embrasure. A la vue du sol jonche de croquettes, elle fronce les yeux… _Mince, on a un sac qui a craqué… Dit-elle en avalant d’un train le reste de sa tasse.

Elle fait un pas vers l’extérieur et s’immobilise devant la silhouette velue qui la toise. _ Il semblerait qu’on ait un intrus. Dit-elle à voix basse en faisant signe au sorcier de jeter un coup d’œil. Elle lui laisse la place et reste derrière la porte, songeant au chat, à ses yeux perçants et ses oreilles plus pointues que la normal. _Ça doit être un des chats errants du quartier… Il est bizarre, non ? On dirait un hybride. Chuchote-telle, cherchant l’avis de son aîné. Il arrive que certaines espèces de chats aient un pelage si fourni et des caractéristiques si prononcées mais le voleur de croquette lui rappelle plus un fléreur. Une espèce félin domestiquée mais qu’elle n’a jamais vu rodé dans les rues de Myrddin Wyllt District. L’animal en question aurait lourdement besoin de soin, il semble affamé et mal en point.

Elle partageait le sentiment de Kaiden. Dans ce genre boulot, elle n’avait pas à se plaindre. Oui, il fallait travailler et ce n’était pas toujours une partie de plaisir. Les crabes de feu n’étaient pas les plus plaisants ni les plus inodores le jour du nettoyage, mais, son boss était facile à vivre, prévenant et il la faisait rire. Quoi demander le peuple. Il avait accepté de l’embaucher à la rentrée suite au départ de l’ancien propriétaire. Une lettre de recommandation de sa part et il l’avait reçu. Dès leur première rencontre, elle l’avait immédiatement apprécié, ils formaient une bonne équipe ensemble et une amitié croissante s’était développée au fil des mois.

Elle regarda donc Kaiden qui passait devant elle pour regarder par la ruelle et porter son propre jugement. Elle jeta à sa suite un deuxième regard à l’animal pour confirmer ses dires. En effet, il était en piteux état, ça lui faisait de la peine rien qu’à l’observer. Si il restait dans la rue, il allait surement y passer. _ Non, ça va pas nous aider. Il va être encore plus suspicieux. Opina-t-elle en laissant assez de place pour qu’il se redresse. Elle cogitait déjà quand il posa une main sur son épaule. _ Mouaip, prépare les pansements… on sait jamais. Dit-elle peu convaincue. Il avait raison, si le félin se sentait en danger, il allait se montrer agressif. Sa parenté de fléreur, bien qu’un problème au premier abord, pourrait en fait joueur en leur faveur. Il était beaucoup plus intuitif et pourrait sentir leurs intentions.

_ Bon, on va pas y arriver par la force et il ne se laissera pas piéger avec une cage, bien trop malin. Il a l’air d’avoir du mal avec les croquettes, un problème de dents ? Y a peut-être un truc à tenter avec de la pâté ? Sinon, il y avait un truc à tenter mais c’était risqué… Elle le suggérerait peut-être en dernier recours. Une chose était sûre si ils rataient leur coup, il allait surement se faire la malle et ne plus revenir. Au lieu d’essayer de lui jouer un tour, elle allait donc y aller franc jeu, avec de la nourriture plus attrayante certes, mais c’était mieux que d’installer une cage piégée et d’attendre. Elle alla donc chercher un plat et une boite qu’elle ouvrit et sortit avec le tout. Elle essaya de s’approcher doucement de l’animal, au plus près, et ne s’arrêta que lorsqu’il eut son premier mouvement de recul.

Pas de grognement ni de sifflement, juste une petite réaction.  Ça s’annonçait mieux qu’elle l’avait pensé et elle se mit à lui parler d’une voix douce. _ Salut toi, t’as faim ? Regarde, j’ai un truc pour toi… Dit-elle en commençant à verser de la pâté dans la petite assiette. Elle continua de lui préparer une bonne portion et s’installa à même le sol. Malgré son éloignement et le manque de signe agressif, il ne bougeait toujours pas. C’était à prévoir, il n’allait pas lui faire confiance en quelques minutes. Elle se décida donc à mettre un peu de nourriture sur la cuillère et lancer le contenu un peu plus vers lui, pour lui donner un avant-goût et le faire s’avancer. Il ne bougeait toujours pas d’un poil, sondant les trois étrangers. Chesten jeta un bref regard contrit à Beitris et Kaiden avant de reprendre la parole à l’attention du félin. _ Ecoute, on ne te veut pas de mal, juste te nourrir et de soigner. Ça te dirait de manger un bout et de te mettre au chaud ?