Elle ne pouvait pas dire qu’elle avait été surprise par le message reçu de sa cousine au milieu de l’après midi, les deux jeunes Blackthorn ayant convenu de rendre visite à Baby lors de leur échange de vive voix, quelques jours plus tôt. Pour autant, Adalia, qui s’était portée malade ce jour-là, incapable de sortir du lit sans être prise de vertiges violents et de maux de tête handicapants, avait peiné à arriver à l’heure prévue au manoir, hésitante, anxieuse malgré les potions du psychomage, crise d’angoisse constante qui finissait par prendre le pas sur sa santé. Ce n’était pas faute de savoir donner le change, dans sa robe sombre, parfaitement maquillée et gestes étudiés à l’extrême, elle semblait bien loin des cauchemars et des douleurs. Mais il y avait une partie d’elle qui n’attendait que de se voir offrir une fuite, qui espérait presque que les parents viennent à leur rencontre dans le parc, leur impose une énième réunion familiale aux accents malsains, les tiennent éloignées de la tour qui la faisait toujours autant frissonner.

Mais il n’y a personne d’autre qu’elle dans les allées et elle a déjà remarqué la blonde chevelure de sa cousine, assise sur un muret, un peu plus loin. L’ombre d’un sourire qui s’étouffe dans sa gorge un peu trop serrée, l’idée de revoir Baby l’enchante autant qu’elle la dérange. La pâleur de sa peau, le sang séché sur ses cheveux, l’angle anormal de son cou, y’a rien qui est normal, y’a rien qui est dans l’ordre des choses. Se rapprocher de son tombeau, de cet endroit où elle avait été maintenue captive si longtemps ne faisait que faire hurler plus fort les sirènes de l’esprit de la jeune espagnole : sa petite soeur n’aurait pas dû mourir, elle n’aurait jamais dû mourir. « Bonjour Sunshine. » La voix légèrement rauque, un semblant de douceur au fond des yeux embrumés elle interpelle sa cousine sans pour autant s’approcher de trop, peut-être était-il plus facile de prétendre de loin, lorsque les cernes étaient invisibles, que les tremblements de ses mains étaient cachés par l’épaisse cape qu’elle portait. « Tu es prête ? » Qu’elle demande finalement, après avoir jeté un dernier coup d’œil vers l’entrée du manoir à quelques dizaines de mètres d’elles. Toujours personne pour ouvrir la porte, toujours personne pour mettre à mal leur plan. Elle voulait savoir Adalia, évidemment, elle en avait fait la promesse à Quartus lorsqu’il avait été poussé à l’exil par son propre sang, mais elle ne pouvait prétendre qu’elle n’était pas inquiète de la tournure que pourraient prendre les évènements.

@Juliet Blackthorn

Les pas sont lents dans la grande allée du manoir familial. Perdue dans ses pensées, aveugle à l’extérieur, elle se prépare psychologiquement à ce qu’elles vont faire. Baby, sa princesse, sa préférée, sa petite soeur, celle qu’elle aurait voulu protéger contre vents et marrées et qui pourtant, avait subit bien trop, bien trop vite, bien trop jeune. Celle qu’elle n’avait pas sû préserver, celle qu’elle avait même abandonné des années durant où elle se trouvait enfermée avec sa solitude, réfutant les voix qu’elle entendait, pensant devenir folle : ou bien l’était-elle malgré cela. Adalia n’était pas capable de grands sentiments humains, mais la culpabilité qui l’étreignait lorsqu’il s’agissait du sort de sa cadette était bien trop douloureuse pour être feinte. Au retour de la question de sa cousine, Adalia se contente de hausser vaguement les épaules : « J’imagine que je n’ai pas vraiment le choix. » Le ton est sombre, l’humeur colle bien à la moue de la sorcière qui ne peut s’empêcher de garder cet air agacé au coin des lèvres. Elle n’avait pas la patience de prétendre, ni le courage de faire semblant. Juliet à ses côtés rayonnait toujours comme le soleil alors qu’elle était la lune, mais une lune ombrageuse, voilée, celles qui préfèrent se parer de mystère plutôt que de laisser la part belle à ceux qui voulaient les faire chuter. Et la tour s’approche, encore et encore, inlassablement Adalia sent son palpitant se serrer un peu plus dans sa poitrine. La piquer jusqu’au fond de ses tripes, lui donne envie de vomir et de faire demi tour. Mais les paroles de Juliet la maintiennent dans la réalité. Reniflement presque dédaigneux, elle ne tourne qu’à peine la tête vers la jeune femme pour répondre : « Oui on à qu’à faire ça, comme ça en plus de nous reprocher nos désaccords, Baby va se sentir vexée qu’on ait cherché à lui mentir. » Comme un rire qui s’échappe des lèvres serrées de l’espagnole, mais un rire mauvais, aux confins d’une sanité vacillante avant qu’elle ne reprenne : « Je ne jouerai pas à un jeu de dupe face à ma petite soeur, c’est déjà suffisamment difficile comme ça sans en plus avoir à m’inquiéter de ne pas assez sourire pour prétendre que tout va bien. » Parce que tout était loin d’aller bien et il faudrait être idiot ou totalement naïf pour s’imaginer le contraire. « Maintenant, si toi tu souhaites faire semblant, grand bien te fasse. » Devant elles se dressent maintenant l'imposante tour, d'un geste de baguette, Adalia dévérouille l'entrée, discrète, indique silencieusement à Juliet de la précéder et veille à bien refermer derrière elles pour n'attirer l'attention de personne, encore moins de leurs parents.