21.11.79 ━ éveil au monde elle vient de naître. petite enfant vagissant, si fragile et déjà, tellement aimée. premier enfant d'une famille de marchands africains aux racines solides. son père est issue de la dynastie hangbé. chef de la branche togolaise, il prospère dans la vente de bois et d'artefacts magiques. sa mère, sombre beauté tem, lui offre le nom de la mère de sa mère, morte quelques jours plus tôt. elle s'appellera makéda et porte en elle l'histoire de sa famille. fille ainée, petite fille préférée du père, qui voit en elle la relève de l'entreprise familiale, makéda se désintéresse pourtant très vite de cette activité d'homme ordinaire qu'est le commerce pour se tourner vers d'autres passions. elle veut tout connaître, tout savoir. comprendre l'univers et la nature humaine. les ancêtres s'inquiètent et brident cette soif trop intense. il ne faut pas qu'elle oublie sa place, qu'elle oublie son rang. qu'elle oublie ce qu'elle doit à son nom, à sa famille. mais après elle il y a maléka, la deuxième fille, et melek, le premier fils. et les yeux se détournent de makéda pour se poser sur l'enfant gras aux attributs virils. ce sera lui, l'héritier, porteur du nom glorieux des hangbé. on oublie alors un peu les deux autres filles, et elles en profitent pour découvrir le monde -leur monde. si maléka se perd dans les dédales des marches, entre les ateliers de potiers et de tisserands, makéda s'assoit aux pieds des vieux sages et écoutent les contes sur l'origine du monde.

lorsque les premières étincelles de magie se manifestent au bout de ses doigts d'enfant, elle attend avec impatience l'appel de uagadou. pourtant, ce sera à beauxbatons qu'elle étudiera. parce que pour l'enfant de onze ans, c'est en france qu'elle pense recevoir la meilleure éducation. c'est en france qu'ont étudié les sorciers dont on parle dans les livres. c'est en france qu'elle veut aller.
il y a une sorte de fierté mal placée chez les parents de makéda. l'enfant-prodige part étudier chez les blancs. elle a dix ans et une connaissance encyclopédique. mais elle n'est pas prête pour le monde.

28.09.93 ━ éveil au corps elle dénoue d'une main tremblante les chaussons couleur chair -quelle chair, vraiment, celle des petites filles douces aux joues roses et aux lèvres rouges surement, que c'est ridicule, ces chaussons roses qui viennent habiller ses longues jambes noires, et ce justaucorps trop clair qui cache à peine son corps. makéda renifle bruyamment alors que les larmes l'aveuglent et que ces doigts s'emmêlent, de rage elle arrache les rubans et laisse échapper un cri étouffé. enfant, elle s'imaginait parfois danseuse étoile, pour la beauté des costumes et la grâce des corps. elle aurait dû se douter. ne pas être surprise. on ne voit pas de noirs dans les corps de ballet.

elle a quatorze ans, et ce sentiment perpétuel de ne pas vraiment être la ou elle devrait être. la chaleur du foyer familial lui manque, tandis que le soleil provençal peine a réchauffer son cœur. ici, tout est trop grand, trop beau, trop propre. trop froid. elle qui n'a jamais eu de problèmes a évoluer auprès des grandes familles d'afrique de l'ouest, appelant untel parrain ou unetelle tantine, écoutant d'une oreille distraite ses grands-mères égrainer la liste des prétendants potentiels. pour quand elle sera plus grande. elle peine a faire son nid au sein de l'école française. et les critiques acerbes de sa professeure de ballet ont été celles de trop. elle a quitté la classe en  courant, les larmes aux yeux. enfermée dans le vestiaire, elle se demande combien e temps elle pourra encore tenir. que ne donnerait-elle pas pour quitter la france et rentrer chez elle. mais elle ne peut pas. il faut qu'elle soit forte. il faut qu'elle fasse honneur. elle ne peut pas, elle ne peut pas. ou peut-elle ?

la porte s'ouvre et elle sèche ses larmes en vitesse. elle n'a pas besoin de témoins de son agonie. jacinda vient s'asseoir à côté d'elle. « je te cherchais. je me doutais que tu serais là. t'es vraiment têtue quand même. » makéda renifle, secoue la tête. son amie passer un bras autour de ses épaules. « pourquoi tu t'entêtes à venir ici, ça me dépasse. ils ne veulent pas de nous. c'est comme ça. viens danser avec nous plutôt. tu vas voir, ça va te plaire. » makéda laisse les doigts de jacinda s'égarer, caresser son front soucieux. « tu sais bien que je ne sors jamais après l'extinction des feux. » jacinda rit, doucement. « évidemment. quelle idée. mais tu devrais venir. ça te fera du bien, crois-moi. »

jacinda est partie.

on raconte qu'elle a quitté le dortoir après la nuit tombée, et qu'elle est devenue une de ces ombres noires qui hantent les couloirs de beauxbatons. on raconte beaucoup de choses. mais on sait surtout qu'après ce jour, makéda hangbé n'a jamais remis les pieds au cours de ballet.

29.06.98 ━ éveil aux nombres le soleil égyptien effleure son visage et réchauffe son cœur. elle a dix-huit ans, et ses pieds caressent enfin, à nouveau, le sol africain. sa scolarité à beauxbatons s'est terminé quelques jours plus tôt, avec les mérites et les honneurs. et elle est parti, elle a quitté le sol français sans un regard en arrière. elle a suivi son professeur d'histoire de la magie sur un chantier archéologique, dans la vallée des reines. une opportunité professionnelle qu'elle ne pouvait pas refuser. son goût pour l'histoire s'est développé pendant ses études. celui pour l'égypte et les pharaons la suit depuis l'enfance. ici, au milieu des tombes et des pyramides, elle s'imagine construire une vie. la dédier à la recherche, entourée de livres, des taches d'encre sur le bout des doigts et du sable sous les ongles.

un soir, dans la bibliothèque de son professeur - une bibliothèque qui prend la forme d'une boite à chapeaux, mais vraiment lorsqu'on l'ouvre, c'est tout un monde qui s'ouvre à nous, elle découvre le livre de l'arithmancien athanasius kirchner, œdipus ægyptiacus, et ce livre pose les fondements du reste de sa vie.

et c'est sur ce sol millénaire que makéda prend racine, irriguée par les eaux du nil et bercée par le soleil. elle ne partira pour rien au monde. ni pour les appels incessants de sa famille l'invitant à rentrer au bercail pour prendre un mari, ni pour ceux du monde universitaire français, désireux de la voir rejoindre leurs rangs.

29.07.99 ━ éveil aux sens elle est tombée enceinte quelques jours plus tôt. la tête posée sur l'épaule de jacinda, maléka assise à ses côtés, elle caresse son ventre d'une main absente. ses doigts forment un cercle qui réchauffe sa peau. « vous auriez pu faire attention. »  « on n'a pas fait exprès, tu imagines bien. »  « je m'en doute, mais quand même. » « maman va faire une syncope. » « et papa une attaque, je sais merci, tu l'as déjà dit. » « tu vas devoir l'épouser. » « non, ça, ce n'est pas possible. » « pourquoi, il est marié ? » « vaut mieux ça qu'un moldu. son sang est pur makéda ? s'il te plait, dis-moi qu'au moins, son sang est pur. »

makéda se tait. elle ferme les yeux. que peut-elle répondre à ça ? perdue au milieu de la vallée du nil, des tombes et des hiéroglyphes, elle s'est crue libre, un instant. elle a aimé beaucoup trop fort, et elle en paye le prix. elle seule. mais elle trouvera une solution, elle rentrera dans le droit chemin. elle le sait, les chiffres le lui ont dit. les cartes aussi. il en faut pas qu'elle s'inquiète. tout ira bien.

05.05.00 ━ béatitude. c'est sous les traits de joseph qu'est venu la rédemption. le frère de jacinda épouse son amour de jeunesse, l'objet de ses premiers émois, cette princesse qu'il avait fait danser il y a cinq ans à peine, à un bal comme on en fait tant, et qui n'avait jeté sur lui qu'un regard absent. makéda, elle, a trouvé un père pour sa fille. alors qu'elle se noie dans les douleurs de l'enfantement, elle sait que son enfant sera protégée. reconnue. qu'importe qu'elle arrive un peu trop tôt, que le mariage ait été si vite expédié. qu'importe qu'elle soit un peu trop pâle, aussi. personne ne dira rien, car personne ne prendra le risque de calomnier le clan hangbé. on médira derriere des portes closes, mais dans quelques semaines, peut-être même quelques jours, un autre scandale viendra sur les lèvres goulues, avides de la misère des autres, remplacer sa propre déchéance.

néfertari nait, et makéda s'enivre de son odeur, la recouvre de son amour. elle se jette toute entière dans cet amour parce que, elle sait, que l'égypte n'est plus qu'un lointain rêve, et qu'elle ne reverra jamais, probablement, ses tombeaux. il lui faut devenir mère, il lui faut être épouse. le rêve était beau, mais il est terminé.

2000-2018 ━ mise en sommeil elle est devenue mère. trois fois. elle est devenue épouse, la femme-trophée du grand joseph kokoè. l'adolescent déguingandé, trop maigre et maladroit, est devenu en quelques années la star des architectes. réclamé par les puissants, il se déplace à travers le monde pour construire ici un château, ici un pont, ici une villa gargantuesque. sa magie fait des miracles, ses calculs audacieux créent les plus beaux édifices. et makéda le suit, avec dévotion. femme de l'ombre, elle s'accroche à son bras lors des galas, on pense qu'elle ne sait qu'être belle. elle s'use les yeux pourtant, sur les parchemins de son mari, sur des calculs compliqués qu'il faut constamment corriger. pas un de ces bâtiments ne tiendraient encore debout, sans elle. et pourtant, c'est le nom de joseph que l'on trouve au bas des plans.

makéda accepte que c'est désormais la vie qu'elle mène. il n'existe pas d'erreur de parcours, juste des croisements de chemin, et les choix que l'on fait à ces intersections. regretter ne sert a rien. sa mère lui dit que la maternité lui a apporté la sérénité.  makéda sait qu'elle n'a jamais été du genre a se battre contre son destin. lorsqu'elle tire les cartes, ou qu'elle fait parler les chiffres, les additionnant jusqu'á ce qu'ils deviennent, non plus des chiffres mais des mots et des concepts, elle accepte.

la nuit elle se rêve momifiée, enfermée dans son sarcophage. elle rêve qu'un égyptologue vienne un jour la délivrer de son sommeil éternel. mais ce n'est qu'un rêve.

03.09.18 ━ réveil ses talons claquent sur le sol de pierre de hungcalf alors qu'elle se dirige vers sa classe, et cette simple pensée, ce mot, classe, l'oblige à s'arrêter. sa classe. ses genoux oublient de la soutenir un instant, mais un sourire franc, lumineux, éclaire son visage alors qu'elle se rattrappe au mur. sa classe. sa classe, car makéda est professeuse, désormais. elle reprend courage, s'active, sa cape en bazin fuschia vole autour de ses jambes alors qu'elle accélère le pas. il n'aura fallu qu'un article, écrit un matin d'ennui, après que lazare, son troisieme, ait rejoint hogwart, et qu'elle se sente seule, incroyablement seule, suffisamment seule pour qu'elle se décide à fustiger une prédiction erronée d'un magazine quelconque, une erreur élémentaire et donc impardonnable. elle fut publiée, elle fut lue, elle fut appréciée. on, le public, en redemanda. il y eut un deuxième article, un troisième. et puis une interview, une autre. une conférence. beaucoup de conférences. et puis enfin, un livre. rien de prétentieux, pas même un best-seller. mais ça a suffi à la rendre fière.

et puis, il y a trois mois, ce hibou l'informant d'un poste de professeur d'arithmancie disponible à hungcalf. peut-être pourrait-elle présenter sa candidature ?

ça tombe bien, ils habitent à londres en ce moment, un gros projet pour le ministère de la magie. joseph a dit oui, makéda s'ennuie, ça lui fera du bien.
elle a eu le poste, elle commence aujourd'hui. sa soeur a pleuré quand elle l'en a informée. des larmes de soulagement qu'elle a mis sur le compte de ses allergies. mais makéda n'est pas dupe, et elle sourit de plus belle.

et c'est comme si son sourire illuminait le monde. c'est comme si elle se réveillait d'un long sommeil.