marry me ? x calliope

Beethoven, Bach, Mozart, Chopin … Pour ne citer qu’eux. Des tonalités sombres, mélancoliques, qui s’accordent avec la valence de ton humeur de ces derniers mois. En vérité, tu peines à relever la tête depuis cette pleine lune de Décembre 2020. Il est récent le choix de ne plus faire usage de cette salutaire - ou délétère - wolfsbane potion. Noires, tes prunelles vont et viennent le long des lourds rideaux de velours qui habillent les vitraux du Black Wolf.

Pour toutes ces raisons, depuis tes goûts raffinés à ta propension actuelle pour la dépression, tu apprécies autant le Black Wolf. Le sourire de façade, les poignées de main en signe de distinction sociale. Tout cela, tu as toujours très bien su le faire, sans difficulté, avec une aisance déconcertante. Ce n’est pas la lycanthropie qui changera cela, bien au contraire. Il y a juste deux changements majeurs : tu as le visage plus marqué et tu apprécies davantage la viande saignante.

Ce soir, tu donnes rendez-vous à Calliope Muller, jeune femme distinguée au nom plus que connu sur le bassin d’Inverness. Bien sûr, une part de toi a la fâcheuse tendance à mépriser ces lignées qui se reproduisent comme une portée de rats. Il est vrai que les Volkov, famille russe connue dans le monde entier pour son attrait pour les affaires et le commerce de poisons et d’artefacts sombres, n’ont pas cette perspective du plus grand nombre. C’est une vision plus rationnée, plus qualitative à ton avis.

Alors que la brune franchit les portes du bar-restaurant, tu te surprends à ressentir une pointe de rancune. Si tu as essayé de lui soutirer, en vain, quelques informations à propos de l’affaire et du procès Johnson, elle t'aura au moins permis une place de choix parmi les rares médias présents à cet événement. En parlant de faveur, il te semble bien que La Chouette soit le seul média important présent. Un monopole qui ne saurait te déplaire.

”Muller …”, les salutations sont simples, sans aller au-delà des convenances. Tu te lèves pour l’aider à retirer ce qu’elle porte sur le dos, marque de cette éducation respectueuse que l’on a bien voulu t’inculquer. Ce que, pour une fois, tu ne critiques pas chez les puristes. ”Ou devrais-je dire, Juge Muller”, braves-tu, au creux de son oreille. Car en avant-première, tu connais les résultats du concours. Et tu retournes t’asseoir, fierté affichée sur ton faciès goguenard. Tu as d’ordinaire au moins trois coups d’avance.

Samedi 5 mars 2022

Un vautour. Jamais elle ne pourrait se faire à cette hideuse créature qui parfois se frayait un chemin jusqu’au balcon qui ornait la facade de son appartement. L’animal s’était installé, droit et fier, ses griffes impressionnante enserrant le fer forgé de la balustrade et lui avait tendu la patte d’un geste sec pour qu’elle puisse se saisir du parchemin qui l’entourait.

Si elle aurait été incapable de reconnaitre l’écriture du Volkov, la simple vue de ce messager hors du commun avait suffit à connaitre l’émetteur de cette invitation qui la fit froncer les sourcils. Sa relation avec Ephrem avait toujours était… en réalité il était difficile de les qualifier. Un mélange de respect et d’aversion peut être pour ce que l’un et l’autre représentaient. Et en même temps une connexion intellectuel qui s’amusait au détour d’instants volés et de joutes verbales cordiale mais sans pitié.

Un dîner, par contre, c’était étrange venant de la part du ressortissant de l’Est. Surtout que celui-ci avait été fort contrarié que la Muller tienne sa langue en ce qui concernait le procès qui débuterait dans moins de quarante-huit heures. Pourtant, il avait réservé une table au BlackWolf pour ce soir, présumant que l’assistante de Justice n’aurait rien de mieux à faire ce soir là.

C’était terrible, pourtant c’était vrai. Il était à peine seize heures et elle buvait du vin, emmitouflée dans un épaisse cape qui la protégeait du froid tandis que sa peau halée se délectait du soleil et qu’elle finissait un roman qu’elle avait commencé bien des mois auparavent. Alors qu’elle semblait courir après chaque minute, sa vie se ralentissait… Le concours était terminé, le procès était prêt, William avait disparu et plus personne ne semblait le chercher encore et elle continuait d’ignorer Dimitri tant qu’elle en avait la force.

Une robe noire prêt du corps, des escarpins sombres et un rouge à lèvre vif. Elle avait cédé à la curiosité et peut être aussi à l’ennui et elle s’était présentée à l’heure dite au Blackwolf à Inverness. Elle qui respirait la vie Londonienne depuis trois ans maintenant, c’était étrange de revenir sur ce lieu qui l’avait vu grandir.

- Volkov.

Sourire courtois aux lèvres, il se lèvre pour lui retirer sa cape. Elle se laisse faire bien volontiers. Malgré ses prétentions rebelles, l’éducation lui sied fort bien et elle apprécie ce trait chez lui. L’affrontement demeurait malgré les convenances et le soviétique n’attendit pas bien longtemps pour prétendre à la première touche, glissant au creux de son oreille que peut être il devrait l’appeler « Juge Muller ». Sourcil arqué, son regard sombre croisa celui tout aussi sombre d’Ephrem, essayant de jauger les raisons de ce premier assault. Elle s’assoit et constate la fierté qui tapisse son visage, il ne la dissimule absolument pas. Elle voudrait y croire et pourtant elle ne le peut pas. Dans ces instants, prêcher le faux pour savoir le vrai.

- J’aurai aimé pouvoir te confirmer cette prétention bien heureuse mais mes chances sont minces compte tenu du peu de temps dont j’ai pu disposer pour préparer ce concours.

Calamité, volatile d’infortune, il n’est pas rare que tu envoies ton précieux familier à la rencontre de tes contacts. L’effet est garanti et immédiat. L’effroi est souvent au rendez-vous, aussi, cela permet d’instiller la peur comme l’on administre un traitement à base de collyre. Sauf que le résultat n’est clairement pas le même. Ce jour est avant tout marqué par cette invitation. Une prise de risque totale.

Ses lippes s’étirent, teintées de rouge, la démarche noble, plantée sur ses talons sombres. Elle prononce ton nom. Et tu n’es qu’un homme, tu frissonnes à cette simple salutation. Les moindres détails ne t’échappent pas. Tu as le regard vissé sur ses gestes que tu inspectes avec beaucoup d’intérêt. L’on ne devient pas une charogne n’importe comment. Russe à la morale défaillante, tu ne manques pas l’invective.

Vos regards se croisent, tu maintiens une stature solide même lorsque tu es assis, là en face d’elle. Tu embrayes aussitôt sur sa future promotion, grade professionnel important auquel elle aspire. Mais elle devrait le mesurer, que rien ne t'échappe. Elle devrait le savoir. Tu ricanes. "Tes chances sont minces, il est vrai". La pause est longue. "Elles l'étaient". Tu mêles volontiers passé et présent, semant le doute.

"Pourquoi tenir à rejoindre la magistrature, Calliope ?" A la voir ainsi, rigide et froide, il n'y a pourtant aucun doute sur le fait qu'elle sera à même de s'imposer dans le domaine. Tu fais tinter un verre vide, appel dédié au service. Tu reportes ton attention sur la belle. "Je ne t'ai pas fait venir pour évoquer un concours déjà réussi. Car il l'est, tu as réussi, Muller". Le timbre est détaché. "Même si cela me désole de le dire".

Elle ne pouvait tout simplement pas y croire. Et pourtant dans son esprit, une balance oeuvrait à peser le vrai et le faux dans cette assertion qui lui avait été faîte. D’un côté, elle craignait vraiment d’avoir raté ce concours. Les membres du Jury n’avaient pas été tendres avec elle bien qu’elle soit tombée sur un sujet de société qui la mettait plutôt à l’aise de prime abord. Mais d’aucun diraient que ces vieilles sorcières n’étaient tendres avec personnes, même avec les candidats les plus brillants…

Et pourtant, quelque-chose en elle veut le croire. Elle veut désespérément le croire. Dans le chaos de sa vie, cette réussite était un filet d’espoir. Elle avait l’habitude que sa vie personnelle soit morne voir confuse… Mais elle avait toujours mené sa vie professionnelle d’une main de fer. Que se passerait-il si elle échouait dans ce domaine cette fois ? Où pourrait elle se réfugier ? Comment pourrait elle étouffer sa peine ?

Il mélange passé et présent, si bien qu’elle ne sait plus que penser. Il soutient son regard, pourtant, avec une férocité qu’elle lui connait bien. Elle demeure de marbre bien que ses sourcils se rapprochent alors qu’il l’interroge. Elle ne répond pas, puisque la suite est d’autant plus importante.

- Pourquoi devrais-je te croire ? Comment pourrais-tu être au courant ? Les résultats ne seront pas publiés avant plusieurs semaines.

Elle le met au défi, parce que c'est le ton utilisé, de prouver ces allégations. Elle savait que le Volkova avait le bras long et un réseau qu’elle ne pouvait pas imaginer. Mais était-ce possible que ce soit à ce point ? Un instant, elle se demanda pourquoi elle se posait a question et la seconde d’après elle était persuadée qu’il la menait en bateau. Incapable de se décider, elle se saisit de la carte comme pour tromper ses tergiversations.

- Si tel était vraiment le cas, j’imagine que du champagne serait approprié.

Ses lèvres s’ourlent, son regarde foncé se relève sur celui du ressortissant de l’Est. Comme elle aimerait pourvoir sonder son esprit, démêler le vrai du faux, à cet instant. Mais elle n’est qu’Occlumens et il est fort probable qu’il le soit également.

Invraisemblable. Tu te plais et te complais dans ce jeu de confusion. Rien ne vaut l’entretien d’une atmosphère teintée de confusion pour assouvir tes penchants pervers : manipulation et mensonges sont les maîtres-mots. Car les membres du Jury ne sont pas réputées pour être les plus clémentes. D’ailleurs, elles ont même tendance à faire penser aux Grées, ces trois sœurs dont les seules possessions sont une dent, ou peut-être une langue, et un unique œil.

“De véritables Gorgones m’a-t-on dit”, commentes-tu suite à sa question. La brune essaie de flairer le vice dans tes paroles. Tu ris, “il se trouve que je connais bien ces trois sorcières”, entre autres, comme bon nombre d’individus dans cette société d’ailleurs. Tu as le bras long, Volkov, tout le monde te connaît et l’inverse est souvent tout aussi réel. Elle tente de maintenir le cap, de résister, de tenir tête au Loup. Mais tu restes le plus habile à cette activité.

“La délibération n’est qu’une formalité, tout le monde sait que la décision est déjà prise à peine a-t-on franchi la porte”. Tu crois beaucoup en la première impression. Tu penses que ce que l’on dégage est déterminant dans le cadre d’une insertion en société, d’une ascension dans les plus hautes sphères. “Du champagne, pour toi ?” L’ironie se fait sentir. Plus forte sans doute, plus marquée aussi. C’est à cet instant précis que le serveur se pointe.

“Nous prendrons une bouteille de champagne”. L’homme ne se fait pas prier, il se rend vers ce qui doit être la cave du bar. Tu observes la Muller, toisant son visage fermé. Pourquoi tant de haine ? Si peu de confiance ? S’en est pourtant prévisible au regard de la personne que tu incarnes. “Le champagne est de rigueur, donc”. Tu ne cesses de te pavaner de la sorte, jouant avec la situation et l'ambiguïté comme le marionnettiste avec ses poupées de chiffon. Il revient, armé de sa bouteille qu’il débouche devant vous, en versant des quantités généreuses mais calculées dans vos verres. “A ton exploit, Calliope”.

Elle voudrait, désespérément, le croire. Sa vie personnelle n’avait toujours été qu’un enchevêtrement de mauvaises décisions et de frustrations mal gérées mais elle avait toujours su s’appuyer sur une vie étudiante, puis professionnelle qui flirtait avec la perfection. C’était d’ailleurs ce qu’il oeuvrait à l’estime qu’elle pouvait avoir d’elle même et l’idée d’avoir raté ce concours si important la rendait nerveuse. Elle avait besoin de célébrer cette réussite et Ephrem lui en offrait la possibilité plusieurs semaines à l’avance.

Elle hoche la tête, presque froidement, a la description faîte des trois sorcières ancestrales qui interrogeaient les candidats à la magistrature depuis des siècles au moins. C’était à peine exagéré. Tout ce qu’il disait avait l’odeur du vrai et il semblait si fier de savoir quelque-chose qu’elle ignorait que la Muller ne pouvait que s’avouer convaincue alors qu’il commandait au serveur une bouteille de champagne.

- Si je déchante le jour des résultats, la vengeance sera terrible.

Ses prunelles noires étaient aussi statiques que ses lèvres mouvantes alors qu’elle proférait ces promesses de vengeance. Le serveur, trop heureux de vendre une de ses bouteilles les plus dispendieuses est déjà de retour, la débouchant qu’un geste impeccable et servant la jeune femme après avoir fait gouté le russe. Il trinquent et elle ne peut empêcher un sourire carmin s’épanouir sur son visage.

- A ton réseau, Ephrem.

Les coupes s’entrechoquent dans un tintement cristallin et les bulles amères viennent chatouiller le palais raffiné de la muse. Elle lui reconnaissait volontiers cette qualité. Il faut dire que le soviétique avait l’art et la manière de se faire des connaissances puis des amis, elle qui avait plutôt une âme solitaire ne pouvait que s’incliner sur ce sujet. Elle se rappelle alors ces mots, quelques minutes auparavant, alors qu’elle ne le croyait pas :

- Ca te désole donc ? Pour quelles raisons ma réussite professionnelle pourrait te contrarier ?

Elle le connaissait ambitieux mais pas envieux.

Vous partagez au moins cela : le goût du travail rigoureux, d’arrache-pied. S’il n’est pas possible pour toi de parler d’ascension sociale, tu auras au moins eu le mérite d’entretenir la prestance familiale. En cela tes deux parents ne manquent pas de fierté et d’éloges à ton égard. Statut d’homme d’affaires qui est l’unique point que les géniteurs ont à l’esprit lorsqu’ils mentionnent ton parcours. Les affaires louches, le réseau journalistique - dont la légalité peut être questionnée - et le business.

Des éléments factuels, s’il lui en faut, tu es en mesure de lui en donner. Rien de tel qu’une description des trois harpies en fin de carrière - ou de vie, au choix - qui ont fait office de Jury. Et évidemment il n’en faut pas plus pour te voir papillonner, dévoilant tes cartes au fil du jeu comme un Maître le ferait. Habile, tant dans les gestes que dans les mots, tu savoures ta victoire. Le champagne est une autre preuve de ce que tu viens d’avancer.

“Tes tentatives d’intimidation ne fonctionnent pas avec moi, Muller”, glisses-tu entre tes dents, le loup se rétracte sur la défensive. Les babines retroussées, tu toises son visage d’une irritabilité plus marquée. Il y a vraisemblablement chez toi cette part lycanthrope qui n’accepte pas l’affront. Une facette de ta personnalité certes exacerbée depuis la morsure d’il y a deux ans, déjà présente dès lors que tu pourrais perdre le contrôle. Or, c’est impensable.

La vengeance. Inutile d'en proférer des menaces sordides, il n'y aura nul besoin d'y recourir. Bien heureux le serveur qui rapporte sa bouteille la plus noble. Le moment de goûter arrive, tu valides sans grande surprise le choix. Trinquer, geste qui brasse les poisons. "A mon réseau, sans qui ce sourire n'aurait pas été", assènes-tu d'une intonation mêlée de froideur amicale. "Ne crois pas qu'il y ait une quelconque jalousie de ma part", précises-tu, les mains jointes sur la table.

"Je n'ai jamais compris ton penchant pour la justice. Je ne voudrais pas avoir affaire à toi dans un tribunal". Une esquisse, mince, sur ton visage attaqué par ce virus qui sommeille à l'intérieur. Lycanthropie, voilà la raison de cet air plus fatigué. "Je me dis que tu te ferais un plaisir de me coffrer si je venais à comparaître devant toi". Œil pour œil, dent pour dent.

Le voyant se contrarier face à ses menace, changer de ton, se retrouver aussitôt sur la défensive, la Muller ne peut s’empêcher de lui offrir un sourire carmin pleins de charme en retour. L’homme de l’Est est certes un manipulateur mais elle ne le croit pas menteur… Elle reste méfiante mais d’une certaine manière elle le croit. Et elle s’amuse toujours de le voir réagir ainsi alors qu’elle s’élève contre lui. Finalement, leurs années en tant qu’étudiants n’étaient pas si loin et il sembleraient qu’ils n’aient pas perdu leurs habitudes.

- On dirait pourtant.

Le ton est plus léger, plus taquin. Son sourire éclaire son visage et ses iris brillent d’amusement. Elle pourrait se venger, si elle le souhaitait. Elle n’a pas le bras long comme le sien mais sa famille l’a. Et elle ne manque pas de capacité d’investissement quand quelque-chose lui tient à coeur. Cela dit, Calliope Muller n’est pas une âme vengeresse. Elle a le don du pardon enfoui en elle depuis bien des années.

Ils trinquent, dégustent. Un instant de silence de la part de ceux qui savent apprécier les bonnes choses. Le luxe n’est pas une découverte mais il reste un endroit bien confortable dont on se repait à chaque occasion. Comme si c’était normal. Dès lors rassurée, le pétillant sur le palais, la brune s’interroge toujours. Pourquoi lui dire ? Et pourquoi être contrarié de sa réussite. Alors qu’ils étaient étudiants, parfois en compétition, elle comprenait. Mais ils avaient empruntés tout deux des voies fort différentes. Et la voila qui se retrouve à justifier son choix :

- C’est un instrument de l’ordre et j’aime la rectitude que nécessite ce métier. Et tu as raison, non seulement j’y prendrais plaisir mais je suis sûre que ce serait un défi tout à fait intéressant que de détricoter la vie d’Ephrem Volkov. Le dossier ne serait pas sans surprise, n’est ce pas ?

Elle boit une nouvelle gorgée de bulles avant d’asséner.

- Je n’ai jamais compris ton attrait pour le journalisme non plus.

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