« Marie pour l’amour de nos ancêtres, mettez-y. un peu. du vôtre. » A chacune de ses ponctuations la main ferme resserrait douloureusement le corset. Son indignation était à son comble, des tremblots furieux dans le grain de sa voix menaçaient de détruire le semblant d’auto-suffisance qu’elle s’était forgée depuis qu’elle était née.  Lucy Bonnamy - bien née Leroy - demeurait une jolie femme, bien qu’un peu frêle, la poigne ferme et le regard cinglant, nourrissant pour les canons de beauté actuels une obsession toute relative. D’emblée, elle s’était affairée à la tâche de serrer le corset de sa jeune fille, d’une main assez intolérante pour suggérer le courroux qu’elle tentait de noyer envers Marie. La jeune fille avait jusqu’ici fait grâce de sa beauté, de son intelligence comme de sa docilité au profit du cocon familial, et marchait dans les traces de sa génitrice quant à l’adoration malsaine envers le doyen de leur microcosme : Charles Leroy. Hélas et dès lors qu’elle mit le pied à Hungcalf, Marie ne s’était guère plus embarrassée des convenances étriquées de leur famille : elle avait ouvert des livres qui jusqu’ici lui étaient interdits (puisque seuls les ouvrages concordant avec les idéologies pures de la famille étaient rangés sur les étagères) et s’était forgé ainsi, peu à peu, ses propres opinions. Malheur ! Marie Bonnamy avait émergé une individualité qui n’était plus tributaire des opinions parentales, quoique peinait furieusement à les soumettre à tous, de peur ainsi de se faire renier. « Votre poigne finira par me casser une côte. » Marie éventa son visage de sa main, peinant à trouver son souffle au regard du corset resserrant son étau comme les serres d’un oiseau de proie. Chez les Bonnamy, la bienveillance gratuite semblait irritable. Ainsi la matriarche ne s’apitoya guère sur sa respiration coupée, comme un châtiment infligé pour sa mauvaise conduite. « Cessez donc de geindre. Les hommes aiment les tailles marquées et vous devez faire grande impression auprès du fiancé qui vous a été désigné ce soir… Par Merlin. » Soubresaut de panique, Lucie plongea soudain sa pupille amoureuse dans le regard de son infant. « Êtes-vous toujours bien vierge ? » « Mère, je vous en prie. » « Vous me devez réponse. » « Et mon futur mari lui, l’est-il ? … Je vous en prie défaites ces lacets, je n’en peux plus. » « AH ! VOILA ! » scanda Mme Bonnamy tout en tremblant de fureur. « Encore vous allez me dégoiser ces inepties de sorcière féministe ! Et qu’est-de donc que la suite ? Les centaures auront le même droit de vote que les sorciers ? Et nos elfes de maison également ? » « Je ne parviens plus à respirer. » « Et quoi d’autre ? Les né-moldus sont nos égaux à présent ? Mais qu’est-il arrivé à ma fille ? »  « Mère, vraiment je… » La génitrice étouffa à grand peine de longs sanglots, alertant derechef son époux dont l’angoisse lui fit ouvrir la porte de la chambre à grande volée.  « Lucie ? Que se passe-t-il ? » A cet instant Marie s’effondra de malaise, et on lui reprocha longuement d’avoir ce jour-ci mis sa mère dans tant d’état qu’elle en saigna du nez.


Etudes des moldus. Marie avait su conserver le secret de ses nouvelles aspirations à penser librement auprès des siens. La crainte néanmoins que cette initiative ne fuite à l’encontre des Bonnamy, mais encore plus de son grand-père, nourrissait en elle cette boule d’anxiété bien logée dans l’estomac. Plus encore, son cerveau alimentait sans discontinuation les doutes et les ambivalences ; elle qui souhaitait s’émanciper politiquement et mentalement, ne parvenait pas à s’extirper de l’emprise familiale. Marie aspirait à être acceptée des siens, entrer dans le moule, se fondre dans leur masse, tout en se disloquant de leur étau, se construire une individualité propre et forger sa liberté. Fatalement, la dichotomie de ce à quoi elle aspirait la poussait quotidiennement à prendre du recul, douter, regretter, s’en remettre, assumer… et de là naissait ce furieux mal-être impossible à détruire. « AAAAAH. » Dans les tréfonds de la bibliothèque vidée de ses étudiants partis écumer leurs dortoirs, Marie délivra un cri salvateur. Il avait le goût de l’amertume, du désespoir, de la peur et de ce désir frénétique de liberté. Dans son accès de rage, ses mains arrachèrent les pages de son ouvrage : Traité de l’affranchissement des nés-moldus. Victime collatérale de son mal-être, le livre épluché par le courroux parut soudain bien misérable sous le regard dépité de Marie qui se ressaisit derechef. « Oh non non non ! » Blasphème. L’adoratrice des livres qu’elle était se pâmait de fureur devant les autodafés et voici qu’elle devenait l’un des bourreaux de la culture. A genoux près de l’ouvrage - comme si elle lui eut demandé pardon - Marie s’affaira à la tâche minutieuse de réparer ce qu’elle avait détruit, d’un coup de baguette à la fois anxieux et assuré lorsqu’une voix pleine et ronde l’interpella. « J’en suis pas certain mais j’crois pas que c’est comme ça qu’on bouquine, habituellement. » D’abord interloquée, Marie se releva non sans son butin magnifiquement rafistolé pressé contre sa poitrine, son regard scrutateur posé sur le jeune Wright. « Tu n’as rien à faire là. » Clama-t-elle avec froideur, un grain de mépris dans la voix. Puisqu’il était l’heure de regagner les dortoirs, bien rares étaient les étudiants assez zélés pour arpenter encore la bibliothèque.  « Je te surprendrais si je te disais que je lis aussi, à l’occasion. Marie c’est ça ? Je t’ai déjà remarquée. » Au sourire charmeur s’accrocha la réplique flegmatique de la demoiselle.  « Et donc ? C’est censé être une approche pour m’appâter ? » « Ca se pourrait bien. » « Je suis navrée de te l’apprendre mais tes capacités de réflexion et d’argumentation n’atteignent pas le quart de ce que je peux espérer chez une personne digne de mon intérêt. » « Ce qui est intéressant dans ce Traité, c’est que l’auteur démontre comment le pouvoir des sangs-purs absolutistes ne repose que sur l’abandon de pouvoir des sangs-mêlés. » L’hommage silencieux de son air interloqué arracha un sourire victorieux au jeune homme dont le discours eut tôt fait de déconstruire les a priori teintés de mépris de la jeune fille. Cette dernière pointa dès lors - mais dans le creux de ses pensées tacites seulement, refusant de l’admettre à haute voix devant lui - la pertinence impromptue de son vis-à-vis et comme elle avait fait erreur sur sa personne. Parfois - souvent, en vérité - l’âme de Marie prenait les ternes couleurs des préjugés familiaux et l’incitait à étiqueter les jeunes hommes en fonction de l’inconsidération qu’ils lui inspiraient.  « Bien. » fit-elle d’une voix trop assurée pour se prétendre honnête. Car derrière le flegme, Marie se sentit rosir. « Il se fait tard. Bonne nuit. » Camouflant sa déroute derrière une placidité proverbiale, Marie tourna les talons non sans sentir son ego s’effilocher sur les remises en question se percutant dans sa poitrine.

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