La voyance, avait décidé Svein quelques années plus tôt, était comme un pari constant avec le futur. Comme s'asseoir face à lui à une table, et parier ci ou ça qu'il n'était pas capable d'un tel événement.  Les mises allaient d'une assiette qu'il aurait dû casser, à laquelle il s'accrochait donc solidement, jusqu'à des choses plus importantes ; la santé de quelqu'un, une somme d'argent nécessaire pour vivre, ou la santé d'une personne vivante, tout court. Aujourd'hui, le pari que Svein comptait gagner concernait justement la santé d'une personne vivante -et il était décidé à le gagner, la preuve, il avait fait l'effort de se rendre en cours de théâtre.
Les cours en question était toujours trop longs, gênants. A son grand étonnement, ils s'étaient même révélés pires que ceux de danse, où au moins il y avait de la musique, qui rendait tout un peu plus supportable. Si Svein voulait s'humilier pendant deux heures dans des exercices d'improvisation ou en récitant du Shakespeare comme si c'était la chose la plus sérieuse jamais écrite, il pouvait très bien le faire seul, dans l'intimité de son propre logis. Et puis les élèves de théâtre étaient un peu trop, quelle expression ne sonnait pas trop vexante, hauts en couleur pour lui. Il savait que ça pouvait paraître hypocrite venant de lui, mais tout de même, il ne faisait pas aussi saltimbanque que ça, si ?
Dieu merci, il avait trouvé un assez bon prétexte pour s'excuser auprès du professeur et s'asseoir au fond de la salle pendant la durée du cours, prétendre de prendre des notes et d'écouter attentivement -alors que la seule chose qui dans la salle captait réellement son attention était la lourde horloge plaquée au-dessus du tableau, qui faisait trembler la salle à chaque heure passée.
Prenant son mal en patience, il battait et battait son jeu de cartes sans jamais oser en tirer une. Quand le temps était compté et égrenait l'échéance de ses paris avec le futur, elles lui semblaient traîtres. Toutes vibraient sous ses doigts, prêtes à lui présenter un avenir assez grave et acté pour le convaincre d'abandonner.
Il se retenait, mais il n'en était pas moins tenté d'en tirer une, d'essayer de ramener à son esprit sa vision d'hier soir. Elle était trop floue -mais c'était sa faute, après tout, s'il avait simplement fait l'effort de se lever pour aller chercher ses cartes peut-être qu'il n'en serait pas là-, trop floue pour qu'il puisse précisément annoncer où, ou quand, ou même une plaque d'immatriculation, mais assez éloquent pour que même la personne embrumée et perdue qu'il était à trois heures du matin comprenne qu'il s'agissait d'un accident de voiture. La personne à qui la vision avait été associée était assez facile à reconnaître, mais il aurait été incapable de dire si elle allait être victime, coupable ou même simplement témoin de l'accident. Peut-être même qu'elle allait simplement en entendre parler, mais Svein ne voulait pas s'accorder le bénéfice du doute sur ces choses-là.
Des fois il aurait aimé avoir eu des visions sur des choses plus importantes, plus proches de lui. Il aurait aussi aimé ne pas avoir à se montrer du tout en cours. Qu'est-ce que les Moldus disaient, déjà ? Un pouvoir important implique des responsabilités importantes ? C'était sûrement ça. En tout cas, ça exprimait assez bien sa flemme de faire des travaux de ce genre sans rémunération parce qu'il avait supposément eu un don à la naissance. Rien ne l'obligeait à faire ça, vraiment, à part le fait qu'il n'avait pas envie d'alourdir sa conscience -il comptait donc le faire, mais aussi rapidement que possible, et en y mettant le moins possible de bonne humeur.
Le temps qu'il lui restait, il prépara ses mots, tenta d'ignorer le bourdonnement au bout de ses doigts. Il ne trembla pas quand l'horloge sonna à l'unisson avec toutes les horloges dans toutes les autres salles. C'était la fin des cours pour tout le monde à Hungcalf. Pour la première fois en synchronisation avec la plupart des élèves de sa classe, Svein se leva, réunit ses affaires et marcha vers la porte, juste à temps pour rattraper la peut-être future accidentée avant qu'elle ne sorte et disparaisse dans les couloirs.
-Hey...
Il s'interrompit. Merde, il aurait pu essayer d'écouter le cours au moins un temps, pour avoir l'occasion de se rappeler son prénom. Si, ça lui revenait.
-Fiona ?
Elle se retourna, le regarda curieusement. Il s'était sûrement trompé. Peu importe, il n'était pas là pour se faire des amis -il avait attiré son attention, c'était l'important.
-Bref, je voulais juste te prévenir qu'il va y avoir un accident de voiture dans ta vie. Je ne sais pas exactement quand, comment, pourquoi, mais je sais que la voiture était rouge. Et bizarre, de forme. Tiens, peut-être que c'était une voiture de course. Bon courage avec ça.
Il était prêt à fermer sa veste et partir, investi du rare sentiment du travail bien fait.

Quelque chose change. Il faut un temps à Svein pour comprendre qu'il s'agit de ses cheveux, qu'ils virent au blanc comme un animal apeuré. Etrange, mais il avait vu encore plus illogique.
Tu te dégages instinctivement de sa prise. Toujours le doute, toujours. Il fallait avoir un peu de foi, de bon sens. Lui, un inconnu, n'allait pas venir la voir et lui raconter ce genre de choses simplement pour le plaisir pervers de la terrifier. Peut-être qu'elle avait des amis prêts à faire des farces élaborées, mais il pensait évident le fait qu'il n'était pas du genre blagueur. Il secoue la tête.
-Ce n'en est pas une, dit-il, très neutre.
Elle a l'air de craindre ça rapidement, tout de même. La déglutition additionnée au changement de couleur de cheveux étaient des réactions très extrêmes ; Svein, lui, aurait accueilli la nouvelle d'une mort prochaine plutôt joyeusement, pensait-il. Elle faisait déjà d'une taupinière une montagne, alors qu'il lui avait parlé de la simple présence d'un accident de voiture dans sa vie. Comme il se l'était dit tout au long du cours, sa vision était si floue qu'elle pouvait signifier n'importe quoi. Elle pouvait signifier qu'elle ne serait pas touchée.
- Alors c’est quoi cette histoire ? 
Il hésita à répondre. Les explications était toujours la partie embêtante. S'il faisait l'erreur de répondre à la question initiale, généralement une variation de c'est quoi ce bordel, il lui faudrait ensuite répondre à tant de questions que sa tête en tournerait sûrement. La conversation durerait une heure, dont une demie-heure passée à la convaincre que oui, la voyance était une discipline à peu près sûre -à peu près ?-, au bout de vingt-cinq ans il savait ce qu'il faisait, et il lui assurait qu'il n'aurait pas fait le déplacement s'il n'était pas intimement convaincu qu'il était en danger.
Rien ne l'empêchait de reprendre sa marche, fuir dans les couloirs et s'arranger pour ne plus la recroiser, laisser la fille se fier à son propre instinct et la sélection naturelle faire son travail. Mais, maintenant qu'il avait fait le voyage -et aussi les cheveux. Ce serait drôle de voir par quelles gammes elle pourrait passer. Il se retourna définitivement, et avant d'entamer un récit qu'il voulait aussi concis que son ouverture, déposa son sac sur une table proche.
-Alors, j'ai le « don » de voyance...
Il marqua les guillemets en l'air. C'était devenu un peu moins difficile à porter depuis qu'il était arrivé dans le contexte plus sympathique d'Hungcalf, et qu'il avait moins d'une réputation. Mais il avait du mal à se défaire de la mauvaise connotation.
-Et j'ai eu une vision très floue d'accident de voiture associée à toi. Tu n'étais pas dedans, juste associée avec. C'est compliqué à expliquer, mais ça veut dire que ça va simplement avoir à voir avec toi. Tu peux le causer ou en être victime, mais c'est possible que tu en sois juste témoin, par exemple.
Il insista aussi lourdement que son ton le permettait sur ce point.
-Les choses peuvent parfois être évitées, donc dans le doute, je viens te prévenir.
Naïf qu'il était, il espérait qu'elle non plus ne tomberait pas dans le cercle vicieux des questions incessantes. Elle prendrait la prédiction ou non, et s'en irait.

Ca semble exagérément évident pourtant, rouspète Svein intérieurement. Mais après tout il ne se connaissent pas et elle n'a aucune idée de la motivation demandée à Svein pour faire un effort ; s'il aurait eu la moindre excuse de ne pas faire le déplacement, il ne l'aurait pas fait.
-Ca, c'est plus difficile à dire. Mais généralement, c'est futur, oui.
Elle multiplie les questions. Svein soupire ; il n'est pas venu à contrecoeur en cours pour en donner un lui-même.
-C'est rarement plus précis que ça.
A croire qu'elle n'avait jamais mis les pieds dans un cours de Divination -Svein avait pourtant entendu dire que les programmes à Poudlard étaient beaucoup plus précis que ceux offerts à Durmstrang, plus concentré sur l'offensive au dépends de Svein.
Elle se laissa tomber dans une chaise. Svein fit la moue, il ne s'attendait pas à provoquer une telle émotion et ne savait quoi faire pour aider plus que ce qu'il n'avait déjà fait. Faute de mieux, il revint aux points qu'elle avait soulevé.
Les visions qu'il avait n'était quasiment jamais rétroactives. Ca avait du lui arriver une ou deux fois et il avait immédiatement compris que le passé lui renvoyait des piqûres de rappel. Elles étaient plus communes lors de lecture, où sa propre interprétation se mêlait à celle de celui auquel les cartes étaient destinées ; ça l'aidait à préciser ses intuitions et à les placer sur un chemin plus précis. Il sortit enfin son paquet de cartes de sa poche et se mit à le battre rapidement. Il connaissait quelques effets de manches, à force de pratique, mais l'heure n'était pas au spectacle.
-Si ça t'angoisse autant, je peux te faire une lecture, proposa-t-il.
Il proposait ça rarement. Les gens étaient pour la plupart hostiles à la voyance, se soumettant à l'opinion sorcière ou moldue qu'il s'agissait d'une science de charlatan, ou par ignorance personnelle, mais si Fiona était prête à croire une vision aussi facilement il doutait se heurter à une telle fermeture d'esprit. 
-Tu en prends une ou trois. Au choix.
Il tira le paquet en un éventail, l'invitant à tirer une première carte.

Sorti de nulle part, et visiblement déjà alarmé par le trouble de Fiona, et remonté contre Svein, un nouvel arrivant s'inclut dans la conversation, et eut vite fait de se placer en mur entre eux deux Rien qu'à son regard, Svein pouvait deviner que le dudit nouvel arrivant le connaissait de réputation ; c'est-à-dire qu'il avait probablement la pire opinion de lui possible. Svein n'était pas un populaire, mais sa réputation serait sûrement un peu plus facile à porter si l'image traditionnelle, offensive, immorale de Durmstrang n'y était pas non plus rattachée. Malgré le fait qu'il se soit interposé, Svein fit un effort notable pour ne pas ranger ses cartes et battre en retraite.
-Rien du tout, répondit-il.
Ça sonnait suspect.
-J'essaie d'éviter un accident de voiture.
Ça sonnait encore plus suspect. Svein allait encore revenir sur sa déclaration précédente lorsque Fiona chuta à terre ; merde, il l'avait vraiment troublée, avec ces histoires d'accident de voiture. Immédiatement le nouvel arrivant accourut à son secours. Saisi dans le moment, immobile, Svein se sentit une seconde coupable et mauvais de n'avoir pas non plus accouru au chevet de Fiona ; il se rassura en se disant que ce n'était pas sa place, qu'après tout il n'était que l'inconnu à l'origine de ce malaise, duquel elle se défaisait déjà.
Elle semble prête à tirer une carte, à prendre en main sa destinée : Svein le sait car dès qu'elle y est prête il peut sentir dans ses mains quelle carte elle va tirer. Il la retire du paquet lui-même, tant que l'intuition est encore là.
IV de baguettes. Etrange. Seul, Svein faisait tout de même le maximum d'efforts pour ne pas se détacher immédiatement de la...l'énergie de la carte, qui semblait contraire à la situation. Il avait au moins confirmation que la vision n'était pas rétroactive, mais elle n'était pas revenue, ne s'était pas précisée, ce qui n'aidait pas sa situation.
Il retourna la carte pour la révéler aux deux présents : sur ce jeu-ci, un chevalier, lance à la main, jetait son cheval vers un nouveau défi. Ils semblaient encore un peu troublés, mais ne l'était pas plus que Svein, pour qui le futur venait encore de s'assombrir.
-C'est une carte -hum, ça représente la victoire, le succès, souvent après une longue bataille.
Svein se relança dans ses idées, son train de pensées lancé à toute vitesse, tournant et retournant la carte dans ses doigts, essayant d'en saisir les derniers signaux. Puis il se souvint à nouveau qu'il avait deux personnes plutôt stressées attendant son verdict. Face aux cartes il oubliait si facilement le monde sensible. Il soupira, à la recherche d'un résumé rapide et facile à avaler.
-Les cartes sont des choses...compliquées, mais c'est simplement une interface pour faire passer un message ; des fois les gens en tirent et ce que la carte représente n'a rien à voir avec ce qu'elle veut dire. Mais là c'est juste...victoire.
Il avait haussé les épaules, à « victoire », qui était une notion totalement contradictoire à sa vision précédente, mais maintenant il le sentait, lui était aussi entièrement intrinsèque. La carte semblait même insister sur le succès, forçait Svein à y penser. Son regard rencontra à nouveau le chevalier, terré sous son casque, et il le fixa un certain temps. Sérieusement ? Tu ne peux rien me donner de clair, pour qu'on soit débarrassés ? Il tentait désespérément d'en faire sens.
-C'est n'est pas une discipline sportive Moldue ? La course de voitures ? Tu connais quelqu'un qui en fait et va gagner, peut-être.
Il y allait avoir un accident et ce serait une victoire pour au moins une partie concernée. Svein voyait soit cela, soit le meurtre.

Ses questions posées, Svein rencontra une seconde de silence de yeux roulant dans leurs orbites. L'introspection était toujours le moment-clé d'une lecture ; quand le demandeur fouillait au plus profond de lui-même pour rallier son expérience à sa carte, et que de cette plongée il émergeait avec une réponse. Et ça s'approchait ; Svein pouvait sentir les fourmis dans les doigts qui tenaient la carte, il sentait le déclic venir. Il suffirait d'une seconde de plus et ils auraient leur réponse.
Mais c'était une recherche que Fiona ne pouvait qu'entreprendre seule. Alors qu'elle comparait, questionnait, doutait, Svein s'interrompit une seconde, apprécia le silence. Le nouvel arrivant semblait définitivement moins hostile qu'il ne l'avait d'abord été. Ce serait sûrement la chose la plus proche du respect que Svein obtiendrait de lui.
Et dans un claquement de doigt, bim ! Déclic. Elle part à la recherche de son téléphone -ça, Svein savait reconnaître- dans sa poche, tapote et tapote jusqu'à obtenir ce qu'elle veut. Elle tourne le téléphone vers lui, pour lui montrer une photo Moldue, il semblait.
-La voiture que tu as vue, elle ressemblait pas à ça ?
Il hocha la tête, réduit une seconde au mutisme.
-Si. Si, c'est celle-là.
L'homme dans la voiture était définitivement familier, quoique Svein ne savait pas où il l'avait aperçu auparavant. Il le devinait maintenant, c'était sûrement un de ces personnages de la culture populaire que les Moldus encensaient à longueur de journée. Il y avait tellement de choses à savoir que Svein en était perdu -si ils commençaient aussi à parasiter ses visions, rien n'irait plus.
La voiture était étrange, avec l'homme dedans ne semblait pas réel. L'accident de voiture ne le serait peut-être pas non plus, donc. C'était un second soulagement. Il n'était pas sorti pour rien.
-Mais qu'est-ce que c'est ? Demanda-t-il finalement. Enfin, le-la voiture, pourquoi elle ressemble à ça ?
Il fixa une seconde Fiona, puis son compagnon, espérant qu'à son tour, ils pourraient éclairer sa confusion.