Une petite robe couleur sarcelle bien ajustée à la taille, créée pour elle par un couturier londonien et griffé de la patte de l’artiste, les épaules couvertes par un blazer noir léger, Sélène se regarde une dernière fois dans le miroir avant de partir. Une mèche sombre s’accroche dans ses longs cils, d’un geste de baguette habile la jeune Muller remet l'indisciplinée à sa place, appliquant le sortilège nécessaire pour qu’elle reste toute la journée sur le côté de son visage. Parfaite jusqu’au bout des ongles, c’est ce qu’elle est, rien de moins que parfaite. Un dernier regard sur son appartement particulièrement bien ordonné, suite à une légère contrariété de la veille qui l’a obligée à tout ranger, trois fois.

Elle connaît le chemin par cœur, la Moufette est un endroit chaleureux que la jeune femme apprécie, ce qu’elle ressent lorsqu’elle entre dans le salon de thé, c’est ce qu’elle imagine qu’un enfant ressent lorsqu’il entre chez une grand-mère bienveillante. Ce côté enveloppant, gourmand et rassurant, l’endroit est chaleureux et bien qu’un peu brouillon pour elle, elle s’y sent bien. Installez-vous, ma mignonne, la propriétaire lui offre son plus beau sourire en désignant une table près de la vitrine. L’obéissance de la Muller doit être ancrée dans sa génétique, car elle n’a même pas réfléchi un instant avant de prendre place sur l’une des chaises, elle attendra son amie ici et si Juliet souhaite changer de place, elles aviseront.

Le regard rivé sur la carte, elle ne voit pas Juliet se profiler. Bonjour Sélène ! Excuse-moi, je suis un peu en retard ! L’interpellation par la jeune blonde fait sursauter un peu Sélie, qui rit de sa propre sottise, elle attendait Juliet, pourquoi être surprise lorsqu’elle entend la voix de son amie ? Bonjour Juliet, pas de soucis, je ne suis pas là depuis très longtemps. Est-ce que la table te convient ? La dame m’a installée ici, mais si tu préfères un autre endroit, nous pouvons demander pour changer. C’est sa nature profonde, la conciliance, faut dire que dans sa famille, c’est ce qui l’a aidé à survivre, ça et sa douce naïveté; elle ne voit jamais le mal, elle souhaite simplement que tout le monde soit heureux et elle fait tout ce qu’elle peut pour que ce soit le cas. Je suis heureuse qu’on ait pu trouver un moment pour se voir, ton été se passe bien ? Jeune femme bien éduquée, elle fait la conversation comme personne, les banalités s’échappent sans qu’elle ne le veuille vraiment, ses doigts manucurés replient le menu avec délicatesse et soin alors que son regard se pose sur Juliet. Les traits de la Blackthorn semblent plus marqués, elle semble plus fatiguée, mais Sélène est une jeune femme bien élevée, elle ne relèvera jamais ce genre de détail, hormis dans le cadre de ses cours ou compétition, mais dans le privé la demoiselle estime que si on ne lui en parle pas, c’est que ça ne la concerne pas. Ta tenue est ravissante.

Les rires des deux jeunes femmes s'entremêlent, une touche d'insouciance dans leur quotidien parfaitement rangé. Enfin, peut-être plus aussi rangé que cela en ce qui concerne Juliet, d'après les rumeurs tout du moins. Mais Sélène n'est pas le genre de jeune femme qui prête attention aux rumeurs, quand elles ne lui apportent aucun bénéfice. Non, c'est parfait ici. A la bonne heure, si Juliet souhaitait changer de table, la Muller aurait suivi son "amie", mais jouer aux tables musicales n'est pas son activité favorite. Après avoir jeté un coup d'oeil sur la carte, son choix se pose sur un thé noir de Ceylan et des scones accompagnés de confiture de myrtilles; ce sont les vacances après tout, si tu ne peux pas te permettre un petit écart, ça ne serait pas vraiment des vacances. Cela faisait un moment qu'on ne s'était pas vue plus que quelques minutes entre deux mondanités, probablement est-ce qu'il s'agit d'un réflexe, mais la brune lisse un pli imaginaire sur sa robe tout en offrant un sourire poli à sa compagnie de la journée. Tu changes de spécialité ? Je ne pense pas en avoir eu connaissance, qu'est-ce qui t'a fait changer d'avis ? Contrairement a elle, Juliet Blackthorn suit un cursus prestigieux, sa famille doit être fière, ce qui n'est pas le cas pour Sélène. Mouton noir de sa famille, elle ne gagne aucun respect par ses études, mais ce n'est qu'un détail pour la jeune Muller, elle vit de sa passion, mais entretient une souffrance psychologique sans même qu'elle n'y prête attention.

Une gorgée de thé plus tard, le temps de profiter de ce petit bijou gustatif, Selie hoche positivement la tête en réponse à la question posée par Juliet, oui, son été été se passe bien. Oui, je vais profiter d'une résidence familiale dans les îles pour me ressourcer un petit peu, le soleil fait cruellement défaut ici, un petit rictus naît au coin de ses lèvres, bien qu'elle aime Londres et Inverness, rien ne vaut la sensation des rayon de soleil qui viennent caresser sa peau durant les semaines estivales. La couleur de sa robe est assortie à celle de l'océan dont elle rêve présentement et le bref regard qu'elle lance sur l'extérieur la conforte dans son envie de partir. Oui, j'ai profité d'un passage à la maison pour refaire une partie de ma penderie, ce n'est pas comme s'il fallait une excuse a une riche héritière pour acheter de nouvelle tenue, surtout lorsque comme Sélène, on apprécie les jolies choses. Alors, ce changement de carrière, ça t'es venu comme ça? Aller savoir, peut-être qu'elle se pose des questions sur son propre avenir, après tout, ça ne serait pas si improbable.

Comment est-il possible de jouer son avenir sur un coup de tête ? Ce genre de comportement est vraiment impossible a comprendre pour la jeune Muller, elle qui doit mûrement réfléchir chacune de ses actions. Une étincelle de curiosité illumine le regard de Sélène, elle aimerait peut-être être capable de poser ce genre de choix comme ça, sans réfléchir, mais est-ce réellement possible ? Rien qu'imaginer ce cas de figure fait naître une sensation d'inconfort, une tension entre ses épaules qui l'oblige a se redresser légèrement. La curiosité laisse place à la surprise quand Juliet se penche et tend la main pour sentir la finesse du tissu utiliser pour la confection de cette robe; si elle n'est pas toujours très à l'aise avec les contacts, celui-ci ne la dérange pas, car il est particulièrement bref et pas réellement dirigé vers elle, mais plutôt vers sa tenue. Si tu le souhaites, la prochaine fois, nous pouvons aller faire quelques magasins, Londres, Paris, Milan, tu choisis. La jeune femme est connaisseuse, depuis son plus jeune âge elle suit sa mère dans les salons d'essayages les plus guindés d'Europe, sans compter la célèbre Tante Agneas qui détaille toujours chaque tenue d'un œil expert. Sélène tient son dressing d'une main de maître, rien n'est laissé au hasard. Elle n'aime pas le hasard.

Laissant les futiles histoires de tenues de côté, la brune revient sur un sujet qui l'intéresse beaucoup plus : le changement d'option de son amie.  Juliet dépeint la psychomagie comme un domaine intéressant, Sélène ne pourrait pas dire le contraire depuis les années qu'un petit diable lui murmure à l'oreille qu'elle devrait consulter, mais c'est plus fort qu'elle, Sélène n'est pas folle, elle est tout ce qu'il y a de plus normal, une jeune femme bien organisée et avec de hauts standards de réussite. C'est tout. Le sourire de Juliet titille la curiosité de Sélène, elle l'éternelle romantique, elle rêve de belles histoires et un charmant urgentiste et une stagiaire, ça pourrait être le début d'une belle romance, comme celle qu'elle lit dans son lit le soir. Je vois, ça doit être impressionnant comme situation, devoir garder son calme et la tête froide quand la vie de quelqu'un en dépend, je ne sais pas si je pourrais le faire, non, elle ne pourrait pas, mais le reconnaitre serait un aveu de faiblesse, et chez les Muller, on n'admet pas les faiblesses. C'est officiel alors, tu te tournes vers les urgences ? Qu'en pensent tes parents ? La question est innocente, dans le monde magique qu'est le leur, les jeunes gens peuvent rarement faire quelque chose sans l'aval de leurs parents, sauf si on se nomme Caël ou Sasha, mais dans ce cas cela ferait d'elles des canards boiteux.

Sweet perfume of poison ft. @Juliet Blackthorn | 27.07.21

Octave ne prenait que rarement le temps de s’asseoir quelque part pour boire un verre. Il n’en voyait tout simplement pas l’intérêt, si ce n’était celui d’observer/trouver une future proie. Il n’était donc pas un client coutumier de la Moufette et pourtant, ce jour-là, il s’y présenta. Pourquoi ? La réponse était toute simple et ne tenait qu’en un prénom : Juliet. Après ses quelques expérimentations avec son cousin Caliban, il en était venu à la conclusion qu’il était en capacité de réduire son problème à néant en intervenant lui-même. Avec la manière douce, bien sûr. Ne restait qu’à croiser la Blackthorn pour parvenir à ses fins. L’intérêt d’avoir une si grande famille résidait dans le fait qu’au moins un de ses frères, sœurs ou cousin.e.s connaissait la jeune femme et passait du temps avec elle. Sélène fut l’appât parfait, sans même qu’elle ne s’en rende compte. Il attendit qu’elle veuille passer un moment avec son amie pour la suivre et passer la porte de la Moufette dans un seul et unique but : les rejoindre.

Sa silhouette s’arrêta à proximité de la table des deux jeunes femmes et ses doigts, dans la poche de sa veste, caressaient la fiole qu’il y avait déposée un peu plus tôt dans la journée. Il sut en voyant le monde autour de lui qu’il n’allait pas être évident d’en verser le contenu dans l’assiette ou le verre de Juliet, mais il devait saisir n’importe quelle opportunité se présentant à lui. Ce bébé ne devait pas voir le jour, qu’il soit le sien ou non. Octave n’en revenait toujours pas d’avoir fait une telle erreur. Cela ne lui ressemblait pas de créer ce genre d’incident et ce qu’il avait provoqué, il devait l’annuler. Ses méthodes n’enchantaient personne et il les gardait pour lui. Caliban savait qu’il travaillait sur l’incantation qu’il lui avait fourni plusieurs semaines plus tôt. Il ne comptait pas s’y prendre de la même façon avec la Blackthorn. Tout devait ressembler à une fausse couche regrettable et c’était bien son intention.

« Sélène, quelle surprise ! Je ne m’attendais pas à te voir ici. En bonne compagnie, de surcroît. » Son sourire à Juliet, tout comme son regard, n’avait rien de chaleureux. Elle le savait, il le savait. Seule sa sœur semblait encore l’ignorer. « Permettez que je vous accompagne. » Il n’attendit pas nécessairement leur réponse pour s’installer, sachant très bien que la blonde trouverait forcément un prétexte pour qu’il ne le fasse pas. Il se trouva bientôt en face d’elle et son regard descendit vers son ventre dont la tenue cachait très bien sa condition. Enfin un peu de jugeote de la part de la Blackthorn.

« De quoi parliez-vous ? »

Sweet perfume of poison ft. @Juliet Blackthorn | 27.07.21

Comme tout un chacun, Octave avait ses préférences. Pour certains, il s’agissait d’amis. Pour lui, on parlait de victimes. Chez les membres de sexe masculin, Jules arrivait largement en tête de cette liste, tout comme Juliet chez les femmes. Elle avait elle-même entrouvert la porte aux délires pervers du Muller et désormais, la refermer devenait difficile. Surtout avec l’enfant qui grandissait en elle. Octave n’allait nulle part “par hasard” et il se doutait que la Blackthorn était au courant de ce trait de personnalité. Quelque chose dans son regard changea au moment-même où il s’installa à leur table et ce n’était pas pour lui déplaire. Il aimait faire son effet et il le faisait toujours chez Juliet. Il pouvait sentir sa haine marteler sa peau et ne s’en offusquait pas. Octave avait toujours préféré être détesté qu’aimé. Il voyait plus d’intérêt dans l’un que dans l’autre, ce que beaucoup ne comprenaient pas.

Urgentiste ? Tiens donc. Juliet délaissait les bibliothèques de riches héritiers pour s’occuper des cas malades. Il feignit un intérêt qui n’existait pas et eut un sourire alors que, derrière sa fausse politesse, la Blackthorn tentait de l’attaquer. Nice try, pensa-t-il, mais il avait compris après toutes ces années que le jugement des autres ne pouvait plus l’atteindre autant que lorsqu’il était adolescent.

« Exigeant, c’est le mot. On peut également l’employer pour ton choix d’études. N’est-ce pas très éprouvant physiquement, l’internat en médecine ? Surtout les urgences. Il faut toujours être sur le qui-vive, être d’une grande mobilité. Cela demande une grande endurance. Mais je ne doute pas que tu en possèdes, regarde-toi ! Pleine de vie. » Double vie, même, ce qui n’allait pas durer. Elle ne le savait pas encore mais lui, si. Il avait une idée bien en tête et lorsque c’était le cas, Octave ne l’avait pas ailleurs. Il ne partirait pas d’ici sans avoir atteint son but et malheureusement, la présence de Sélène mettait à mal cette entreprise.

« Non, sur place. Si vous permettez que je me joigne à vous, bien évidemment. » Elle ne dira certainement pas non devant la jeune Muller, au risque de soulever plus de questions qu’autre chose. Il comptait bien là-dessus. « Que bois-tu au juste ? Cela m’a l’air délicieux. »

Sweet perfume of poison ft. @Juliet Blackthorn | 27.07.21

Octave trouvait drôle de voir sa sœur défendre à ce point la Blackthorn, comme si elle n’était là que pour la faire se sentir bien alors qu’en fin de compte, elle n’avait pas vraiment de quoi être fière d’elle. Il pouvait lire dans son regard à quel point elle le détestait et la frustration qui était la sienne de ne pas pouvoir le crier à voix haute. Le Muller en jouait. Il savait que Sélène ne le considérait pas de la même manière que Juliet le faisait et il s’amusait de ça. Il prenait plaisir à voir la jeune femme se battre entre son amitié pour la Muller et sa haine envers Octave. Pas aussi divertissant qu’une incantation de magie noire, mais pas mal quand même.

« Du thé » répéta-t-il en lui offrant volontairement un sourire, pour voir jusqu’où elle serait capable de feindre un peu de sympathie pour lui devant Sélène. D’eux deux, il était probablement le plus ouvert et souriant. Si elle venait à faire un commentaire sur sa personnalité, elle n’aurait rien sur quoi reposer son argumentaire. Et il y comptait bien. « Je vais prendre un café glacé, je pense. » Il fit signe à un serveur pour prendre sa commande, tandis que les deux femmes discutaient ensemble - du peu qu’il en entendait. Ce fut bref et il reporta très vite son attention sur elles. Sélène lui fit alors une suggestion et il hocha simplement de la tête, répondant qu’il le fera peut-être un peu plus tard, n’ayant pas très faim pour le moment. Tout comme Juliet, ton regard fut attiré par les nouveaux entrants et la tenancière de la Moufette, qui les accueillait avec un peu trop de bonhomie à ton goût. Tu perdis vite intérêt pour cette scène qui ne te semblait pas exceptionnelle.

« Et depuis quand vous connaissez-vous ? » demanda-t-il aux jeunes femmes comme s’il pouvait trouver un intérêt dans leurs racontars. Il se moquait bien de la date de leur première rencontre, comment elles étaient devenues amies… Mais il sentait que ces informations pouvaient s’avérer utiles un jour et mieux valait trop en savoir que pas assez. Surtout vu ce qu’il s’apprêtait à faire. Octave réfléchissait silencieusement à la façon de les faire quitter la table quelques minutes, le temps de verser sa potion dans le verre de Juliet. Il pensa à une solution rapide mais qui pouvait arriver n’importe quand, dans une minute ou trente. Il suffisait qu’elles aillent aux toilettes ensemble, ce que faisaient toujours les femmes de ce qu’il avait compris. Octave n’était pas certain que ce soit une vérité, mais cela ne coûtait rien de compter dessus. Il n’avait besoin que d’une fenêtre de une minute, rien de plus, rien de moins. Et après, il pourra partir et arrêter de feindre de la sympathie pour cette femme.

Sweet perfume of poison ft. @Juliet Blackthorn | 27.07.21

Bien sûr qu’il connaissait la base de leur rencontre, elle était la même que toutes celles des enfants sang purs de grandes familles britanniques. Des dîners mondains, des réceptions, des réunions parfois un peu agaçantes… qui réunissaient les plus vieux et forçaient les plus jeunes à se côtoyer. Non, il ne doutait pas de la façon dont elles s’étaient rencontrées, mais se demandait comment elles avaient pu devenir autant amies quand les deux familles ne s’appréciaient pas vraiment. Comment cette amitié avait-elle vu le jour ? Par quelle malice ? Même si cela l’arrangeait bien aujourd’hui que ce soit le cas.

« Tu sais très bien que je ne parle pas de ça, mais je ne suis pas ami avec tous les enfants de sang purs qu’on a pu rencontrer lors de ces occasions ! » Donc “pourquoi elle” ? C’est ce qu’il avait envie de prononcer à voix haute, d’un ton presque hautain et probablement emprunt de dédain envers Juliet. Un ton qui le trahirait sûrement, voilà pourquoi il n’alla pas plus loin dans sa phrase. Sélène n’avait pas besoin de savoir qu’il méprisait la Blackthorn au même titre qu’une simple et stupide moldue. Elle s’avérerait en être une que cela ne le surprendrait pas…

Les deux Muller regardèrent la jeune femme quitter leur table pour rejoindre l’une de ses connaissances et Octave y vit là une occasion en or. Il ne lui restait plus qu’à se débarrasser de Sélène pour avoir une toute petite minute de paix, une fenêtre d’opportunité. Il devait jouer cela finement, car il n’aurait sûrement pas de deuxième chance.

« Ma petite Sélène, ça ne te dérangerait pas d’aller passer commande pour moi ? Je crois que je me suis un peu fait mal au sport ce matin. » Sélène était trop naïve, mais surtout trop gentille pour penser que ces propos étaient faits pour se jouer d’elle. Elle appréciait Octave, incapable de voir la vérité derrière ses sourires et se précipita donc pour l’aider. Cela ne fit que confirmer les pensées du potionniste : la gentillesse ne menait à rien, à part se faire avoir en beauté. Elle lui tourna le dos pour se diriger vers le comptoir et tout comme elle, Juliet ne pouvait pas l’apercevoir - et c’était peut-être un choix délibéré de sa part. Ils ne s’aimaient pas, ne pouvaient pas supporter de regarder l’autre… il en aurait peut-être fait autant. Mais à cet instant, cela la desservait d’agir ainsi. Sa main dans la poche de sa veste débouchonna la petite fiole qu’elle tenait fermement. Il feignit d’être maladroit et de manquer de renverser les verres de la table pour pouvoir poser les doigts sur celui de la Blackthorn. Pour un regard extérieur, il ne faisait que replacer les éléments correctement sur la table afin d’éviter une quelconque casse. Un œil plus averti, cependant, distinguera la petite fiole dissimulée dans la paume de sa main dont le contenant se versa dans le verre de Juliet. Le geste en lui-même ne prit qu’une seule petite seconde de rien du tout et Octave avait retrouvé à la fois son immobilité et son sourire lorsque Sélène revint à table avec sa commande.

« Merci, tu es un ange. »

Sweet perfume of poison ft. @Juliet Blackthorn | 27.07.21

Sourire lui demandait énormément d’effort, surtout lorsque ce temps se prolongeait sur plusieurs minutes. Imaginez donc la ténacité dont il faisait preuve lors des soirées mondaines, où le moindre visage contrarié était susceptible de froisser une famille entière. Fort heureusement, cela ne dura pas longtemps et sa toute petite fenêtre d’ouverture s’imposa à lui. Il ne disposait que de quelques minutes, peut-être même des secondes selon la rapidité des cuisiniers. Il pouvait compter sur Juliet pour éterniser son entrevue avec son “ami”, c’était au moins ça de pris. À vrai dire, qu’elle distingue quelque chose lui importait peu. Il faisait surtout attention à Sélène, dont l’opinion avait plus de poids que celle de la Blackthorn. Surtout dans sa famille. Avec un calme olympien, il accomplit son tour de passe-passe et lorsque sa sœur revint à ses côtés, il avait l’air de ce gars qui avait un peu trop attendu et qui s’ennuyait fermement à ne rien faire. Ce fut à ce même moment que Juliet reprit place à leur table et Octave, d’un air décontracté, dégusta une part de son brownie après avoir remercié la jeune femme. Feignant d’écouter ce qu’avait à leur dire la Blackthorn - et qui ne l’intéressait guère - il l’observa tourner sa tasse entre ses mains et la porter à ses lèvres. Elle en prenait de grandes gorgées et à mesure que le liquide coulait dans sa gorge, symbolisé par les mouvements de déglutition que l’on pouvait apercevoir au niveau de son cou, Octave se détendait. Une sensation de soulagement vint même l’envahir lorsque, inévitablement, en bonne petite fille bien élevée, elle termina sa tasse. Du coin de l’œil, il put aisément constater que cette dernière était vide et son contenant complètement ingéré. L’affaire était dans le sac, il n’y avait plus qu’à attendre que les effets se manifestent. Il était inconcevable pour le Muller d’avoir fait une erreur dans ses dosages. Il n’en était pas à sa première expérimentation de cette potion, mais Juliet représentait en effet son tout premier sujet humain. Il ne parvenait cependant pas à se dire que, si ça tournait mal et provoquait la mort de la jeune femme, il aurait de la peine. C’était tout bonnement impossible.

« Je te souhaite bon courage avec ça » répondit simplement l’étudiant en la fixant quelques secondes, avant de terminer son brownie d’une grande bouchée, toujours élégante. Il n’avait pas pour habitude d’avoir de sales manières à table, bien au contraire. Il ne voulait pas non plus donner l’impression de chercher à partir plus vite que les autres. Sa fin de repas se coordonnait avec celle des deux femmes, comme il le désirait. Quand à sa réponse en elle-même, elle désignait autant les soucis de mariage que ce qui allait fatalement arriver à la santé de Juliet. Oui, bon courage, petite impertinente… S’il avait pu, il aurait souri de cette même façon qu’il souriait parfois lorsqu’il voyait quelqu’un souffrir. En attendant, il ne put se contenter que de la politesse de rigueur. Et un soupçon de bienveillance qui lui coûtait énormément.

« Sélène, je te raccompagne si tu es d’accord ? » Son café glacé terminé, il disposa les éléments sur la table de façon méthodique puis tendit le bras à sa sœur, dont l’attention était vite détournée par l’agitation du salon de thé.