Mars 2022

La première fois que j'ai assisté à une de ces conférences, je me suis dit que je n'avais pas vraiment le droit d'être là, et cette impression m'est restée jusqu'à la fin de la séance. C'était bien marqué ouvert à tous, cependant, et le sujet m'intéressait - comme nombre de sujets littéraires et historiques. J'ai suivi avec attention les informations données par l'assistant, et puis je me suis éclipsée aussi discrètement que possible, un peu comme si j'allais être prise en faute à vrai dire, à la fin.

Ca ne m'a pas empêchée de renouveler la fois d'après. Et celle d'après. Et celle d'encore après. Au final, je crois bien que j'ai assisté à l'ensemble des conférences données par M. Lacroix depuis le début de l'année, avec intérêt et assiduité. Quand bien même elles ne font absolument pas partie de mon cursus.
Peut-être que quelque part, je compense mes résultats catastrophiques en potions malgré tous mes efforts.

Et aujourd'hui ne fait pas exception.
Comme à chaque fois, je m'installe vers le fond de la salle, et suis le séminaire avec une attention visible. Mes notes sont précises, soignées, parfois agrémentées de réflexions personnelles. Mais quand la séance s'achève, je ne parviens pas à m'extirper sans être interceptée cette fois, et si je fais bonne figure, le malaise grandit en moi.

Je ne devrais pas être là, c'est ce que je ne peux m'empêcher de penser en répondant à l'interpellation du conférencier qui m'empêche de quitter la salle. Et tout à cette pensée, je ne réalise pas encore que ma nature de vélane est en train de prendre le dessus et de me jouer un de ces tours que j'abhorre au plus haut point...

@Kyle Lacroix

Ces conférences sont passionnantes, c'est un fait. Certainement parce que l'orateur est visiblement passionné par son sujet. Et c'est ce qui me motive chaque fois à y assister, quand bien même ma place n'y est pas forcément. Je l'écoute avec attention, souris parfois lorsqu'il passe un peu du coq à l'âne, déviant visiblement de la ligne toute tracée de son plan pour aborder des points qui lui semblent finalement plus importants que son fil conducteur. Passionné, réellement. Et passionnant.

« La structure en grès rouges visible aujourd'hui fut construite en 1836 par l'architecte William Burn. C'était un architecte écossais qui reçut d'importantes commandes de l'âge de 20 ans jusqu'à sa mort à 81 ans. Il construisit dans de nombreux styles et est un pionnier du renouveau style baronnial écossais. »

J'aurais pu écouter son discours encore des heures, mais le geste du professeur d'Histoire ne m'échappe pas non plus, et à vrai dire, il me ramène un peu à la réalité. Moi aussi, il va falloir que je m'éclipse, et que j'aille chercher mon fils.

« Comme d'habitude, je me suis emporté. Nous devons donc nous arrêter là et j'espère
vous voir encore nombreux la fois prochaine. »

Je prends mon temps pour ramasser ma plume et mon parchemin cependant. Mes notes sont nombreuses à chaque fois, et je passe un peu de temps, une fois Fao couché, à les remettre au propre, parfois les annoter encore. A cet instant, j'en relis quelques passages, avant de les ranger soigneusement dans ma sacoche, prenant sans doute trop de temps pour m'éclipser cette fois.

« Excusez-moi, miss ? »

Je suis surprise d'entendre sa voix proche de moi, et relève la tête pour croiser son regard, un instant prise au dépourvu, avant de reprendre les manières qu'on m'a si longtemps inculquées, les épaules droites et un sourire digne sur le visage.

- De Launay, Holly de Launay. Je...

J'allais m'excuser de ma présence peut-être inopportune, quand je réalise avec horreur ce qui est en train de se passer. Mes yeux s'agrandissent d'effroi comme il bredouille quelques mots, vraisemblablement à la recherche de ses pensées comme la Vélane les accapare toutes.

« Je... Euh... Je... »
- Oh non...

Non non non non non non non. Pas ça, surtout pas ça. Je me redresse un peu trop vivement, entame un mouvement de recul.

- Je ne devrais pas être là, pardonnez-moi...

Un pas en arrière encore et je détourne mon regard du sien, cherchant à rompre le contact que cette part de moi exécrée essaie de maintenir encore.

- Il vaut mieux que je m'en aille, je suis désolée... Pour ça... Pour... tout ça...

Difficile de garder la prestance d'une De Launay quand on cherche ainsi à prendre la fuite, mais à cet instant, ça m'importe guère. Tout pour que la Vélane cesse son emprise sur le conférencier qui n'a rien demandé... Et je cherche à fuir, littéralement, cette salle que j'étais pourtant si ravie de retrouver quelques heures plus tôt.

Quand on a une nature aussi particulière, on en reconnaît les signes presque instinctivement, instantanément. Je sais toujours comme la Furie s'apprête à sortir, ou quand le Charme se décide à enjôler mon entourage. Probablement parce que je ne supporte guère cette partie de moi, et m'efforce de la taire au maximum - quand bien même cette mission s'avère impossible. Si lui ne comprend pas ce qui lui arrive, pour ma part, je ne le comprends que trop bien. Et c'est un point que j'exècre au plus haut point. Il a l'air perdu, inexorablement attiré par ma nature, et moi je cherche à fuir, tout bonnement. Mettre le plus de distance entre lui et moi pour que le Charme cesse de faire son effet.

« Non, attendez ! »

Mes yeux s'agrandissent d'effroi comme il me retient, je ne veux même pas imaginer la suite. Pourtant, dans d'autres circonstances, j'aurais été ravie de converser avec lui au -sujet de ses conférences, et c'est bien ce vers quoi il se dirige. Mais le timing est mauvais, mon Charme prend trop de place, et je refuse de le laisser se faire prendre au piège.

« Pourquoi ne devriez-vous pas être là ? Mes conférences sont libres, ouvertes à tous les étudiants et je vous ai vue assister à chacune d'entre elles ! »

C'est à mon tour d'être déstabilisée, non par sa question, mais par la situation. Sa main sur mon bras m'intercepte et je me fige aussitôt. Je suis blême, cherchant à garder mes distances sans pour autant me montrer trop impolie en ne répondant pas à ses interrogations somme toute légitimes.

- Ce n'est pas ça... C'est...
« Mais enfin ? De quoi parlez-vous ? De quoi vous excusez-vous ? »

Je ferme les yeux un instant, cherchant à garder le contrôle de moi-même autant que possible.

- Ce n'est pas pour la conférence... C'est pour ce que je suis...

J'évite soigneusement son regard, de peur que le contact visuel ne renforce encore le Charme qui m'échappe aléatoirement.

- C'est ma nature qui vous perturbe, et croyez bien que c'est à l'insu de mon plein gré...

Est-ce suffisant pour qu'il comprenne ? Je l'ignore, mais à cet instant, je peine à prononcer ce mot que je déteste tant.

Je le sais bien, que dès que la distance se comble, ma nature l'accroche davantage. J'essaie de limiter la casse, mais mon impuissance à museler la Vélane en moi m'insupporte chaque seconde qui passe davantage encore que la précédente. Je fuis son regard, cherchant à défaire autant que possible - soit assez peu - l'emprise du Charme sur lui. Morgane, que je déteste cette partie de moi ! Et à en croire par le ton de sa voix - je détaille mal son visage, cherchant à soustraire mon regard au sien, je ne suis pas la seule à ne pas l'apprécier.

« Vous êtes.... Une vélane ? »

Le dégoût n'est pas si perceptible, et pourtant, il me frappe instantanément. Je ferme un instant les yeux, hochant péniblement la tête tandis qu'il fait un pas en arrière, s'éloignant quelque peu et réduisant par là-même l'effet de ma nature sur lui.

- Quart de vélane, finis-je par corriger. Ma mère est semi-vélane elle-même.

J'esquisse à mon tour un pas en arrière, hésitante. Je ne veux pas me montrer impolie non plus, mais à l'évidence, il ne sera tranquille qu'une fois que je serai loin de lui.

- Je suis navrée que vous ayez à en subir l'impact...

Je ne suis pas venue pour ça. Je voulais même passer inaperçue et prendre la porte le plus rapidement possible. C'est raté, complètement raté, et je suis déjà en train de me promettre - malgré mon intérêt évident pour chacune de ses conférences - de ne plus y mettre les pieds à l'avenir. Je sais que je vais le regretter, sa passion pour l'histoire est communicative, et j'ai aimé chacune de ces conférences, en témoigne mes notes et mon assiduité. Mais ce sera sans doute mieux pour tout le monde...

- Il vaut mieux que je m'en aille. J'aurais mieux fait de ne pas venir, cela vous aurait évité ces désagréments, j'en suis vraiment navrée...

Je suis prête à partir, clairement. De toute façon, il n'a aucune raison de perdre davantage de temps avec une créature telle que moi, n'est-ce pas ?

Dire que je suis mal à l'aise est un euphémisme. Je déteste tellement cette partie de moi ! Je déteste en perdre le contrôle, je déteste voir le contrôle qu'elle tente de prendre sur les autres - ou le mal qu'elle peut faire. Je ne m'en sors pourtant pas trop mal d'ordinaire, mais visiblement, ça n'est guère le cas aujourd'hui. Et je voudrais me trouver à des kilomètres d'ici, à cet instant, alors pourtant que j'étais si heureuse d'assister à cette conférence il n'y a pas quinze minutes...

Avant que ça ne dérape, je passais même un très bon moment, à suivre les pérégrinations historiques qu'il nous dépeignait avec passion. Comme à chaque fois, d'ailleurs, puisque j'ai déjà assisté à nombre de ses conférences. Mais Morgane, que je regrette à présent d'avoir passé le seuil de cette salle ! Et je suis persuadée qu'il en est de même pour lui, vu le dégoût qui s'est inscrit sur son visage quand il a compris ce que j'étais.

N'aurait-il pas dû me laisser prendre la fuite, alors ? Je stoppe pourtant mon geste comme il tente de me retenir, surprise. Pourquoi voulait-il donc que je reste ? Il valait sans doute mieux que nous mettions le maximum de distance entre nous, alors pourquoi ? Cette question boucle dans ma tête, alors que mon visage se tourne à nouveau vers lui, bien que je m'efforce de ne pas croiser directement son regard. Et sa question me surprend, j'espérais avoir été plus discrète jusqu'à présent, je dois bien l'avouer. Je réprime un soupir, un peu ennuyée, je dois bien l'avouer d'avoir été ainsi repérée.

- Des intervenants aussi passionnés, on n'en a pas si souvent... Vous transmettez cette passion... réponds-je, sincère.

Elle est bien là, la raison de ma présence : cette passion qui transparaît dans chacune de ses interventions. Oh... Bien sûr, je connais la réputation de la famille Lacroix, mais parmi les Sang-Purs, elle n'a rien de si surprenant, au fond. Et ce n'est pas vraiment un sujet sur lequel j'ai tendance à m'attarder : les gens sont bien plus que ce qu'on leur prête, et ce sont leurs actes et leurs motivations réelles qui m'importent, guère les racontars mondains.

Le fait est qu'à cet instant, cependant, je ne me sens plus vraiment à ma place dans cette salle. Il y a ma nature et le contrôle erratique que j'exerce sur celle-ci, d'une part, mais également cette sensation qui n'a pour moi rien d'agréable d'avoir bravé un interdit, contrecarré une règle, bien malgré moi. Comme si ma présence lors de ces conférences qu'il a maintes fois données était inappropriée.  

- Il y a un problème à ma présence ? m'enquis-je alors. Autre que... Ce que je suis...

On pourrait difficilement ne pas comprendre mon dépit à ce sujet, mon ton de voix en témoigne sans doute assez. Je n'aime pas cette partie de moi, et si je suis la première à m'insurger contre les discriminations qui pourraient être faite du fait du sang qui coule dans mes veines, je ne peux pas nier que j'aimerais davantage ne pas détenir cette ascendance.

- Ne sont-elles pas ouvertes aux étudiants, même hors cursus historique, ces conférences ?

Si j'ai enfreint une règle, à l'évidence, j'en suis navrée, ce n'était absolument pas mon but initial. Mais la situation sème le doute dans mon esprit, et je cherche d'abord à m'en assurer - et à présenter de sincères excuses si toutefois j'avais commis une erreur en me présentant ici. Pour autant, je ne regrette guère d'y avoir participé, ayant appris bien davantage lors de ces quelques heures que dans moult livres d'histoires déjà dévorés...

@Kyle Lacroix

Je suis parfaitement sincère, et si la surprise se peint légèrement sur le visage de mon interlocuteur, j'en cherche quelque peu la cause. Est-ce donc si surprenant de ressentir la passion de son discours, quand la matière en question vous touche vous-même ? N'y a-t-il donc personne d'autre ici qui lui ait jamais fait cette remarque ? Je suis surprise à mon tour. J'aurais sincèrement pensé que d'autres auraient montré davantage d'entrain face à ses conférences et j'ai le réflexe un peu idiot de regarder autour de nous si un ou une de mes camarades ne serait pas resté, tout aussi attentif que moi au colloque qui venait de se dérouler.

« Intéressant ! »

Décidément, j'ai du mal à suivre le fil des pensées de l'historien, et je ne vois pas en quoi ce que je suis en train d'affirmer peut être si intéressant, surprenant. Réellement, je ne conçois pas d'être la seule élève assidue à ses interventions et réellement passionnée par celles-ci. Mais visiblement, il n'a pas l'air de penser de la sorte, et c'est quelque peu triste.

Ce qui, en revanche, est plus gênant à mes yeux, c'est sa réaction face à ma nature, et, potentiellement, ma propre infraction à quelque règle, bien que c'eût été totalement involontaire de ma part.

« Hmm... Non, vous avez parfaitement le droit d'assister à mes interventions. C'est juste que... Eh bien, je vous avais repérée, quasiment à chaque fois. Et c'est assez surprenant de venir ainsi alors qu'on n'y est pas obligée. »

Repérée. Au temps pour la discrétion dont j'espérais vainement avoir fait preuve, et j'espère encore un peu que ce n'était pas dû à mon Charme, mais à cet instant, j'en doute davantage encore que quelques minutes auparavant. Instinctivement, j'esquisse un nouveau pas en arrière, presque sans le réaliser moi-même, comme pour tenter de le libérer d'une emprise que je refuse moi-même. Reste que son discours confirme encore et toujours qu'assister à ce type de conférence par plaisir et non par obligation relève de l'exceptionnel, et définitivement, ça me dépasse.

- Je ne sais pas... Ce n'est pas la première fois que j'assiste à des conférences externes à mon cursus simplement parce que le sujet m'intéresse...

Je reste quelque peu songeuse.

- Et il me semble que certains de mes amis ont déjà fait ce genre de choses également...

Je pense notamment à mon ami Licorne : Adrian a suivi nombre de conférences moldues sans pour autant être inscrit à quelque université non-sorcière que ce soit avant d'entamer son diplôme supplémentaire à distance, et je crois bien qu'il a aussi assisté à quelques colloques ici qui ne relevaient pas de son cursus d'architecture enchantée.

- Vous n'avez jamais eu que des élèves résignés, vraiment ?

A l'évidence, mon ton de voix en témoigne, j'en suis sincèrement navrée...

@Kyle Lacroix