Joaquin est content, tandis qu’il resserre son manteau autour de ses côtes pour sortir du domaine universitaire et suivre @Juliet Blackthorn , dont il vient de faire la connaissance, en direction d’Inverness. Les deux étudiants se sont bien entendus pendant le cours de botanique et Juliet lui tout naturellement proposé d’aller prendre un verre ensemble après les cours, dans un bar qu’elle semble bien connaître, la Taverne des Trolls. Le brésilien lui fait confiance, il ne connait pas encore très bien la ville, étant fraîchement arrivé en septembre pour cette première année universitaire, alors cela fait encore partie de ses premiers pas d’étudiant. Inverness est charmant, mais c’est terriblement différent de son pays natal, qui lui manque parfois, quand sa mâchoire tremble sous le froid mordant de cette saison en Ecosse. Mais bien vite, alors qu’il suit Juliet, ils arrivent dans cette fameuse taverne. L’ambiance y est plus chaleureuse que les rues à l’extérieur. Joaquin regarde autour de lui cet établissement typique où sont présents quelques sorciers plus âgés que lui, dans une grande discussion sur un des derniers matchs de quidditch de la ligue nationale. On dirait un pub sportif, une ambiance sympathique au final. Le brésilien lui-même aime tout particulièrement ce sport. Il suit Juliet jusqu’à une table à l’écart de ce groupe de sorciers bruyants et s’installe, attendant quelques minutes pour enlever son manteau car il a froid et n’a pas encore réussi à se réchauffer malgré l’âtre allumé dans la salle principale. Il n’a pas l’habitude du froid, et ce n’est pas quelques semaines passées ici qui lui auront donné cette habitude.

"- Alors comme ça c’est l’un de tes repaires habituels ? Ta cantine comme on dit chez vous ? "

Tellement différent de chez lui, Joaquin a davantage l’habitude de ces bars où les tables sont toutes en extérieur, sous le soleil, à boire des jus de fruit frais pressés ou des bières locales bien fraîches et épicées. Ici, même les tables sentent la biérraubeurre, la boisson régionale. Comme si elles étaient nettoyées avec cette boisson mousseuse et très sucrée.

Joaquin prend la carte des boissons que lui tend la jeune femme. Une carte en papier cartonné tâché ci et là de tâches de vins et de biérrabeurre, elle colle un peu aux doigts, ce qui dégoûte un peu le jeune homme, lui qui est habitué à d’autres standings mais il sait que c’est un détail à corriger. Dans sa famille, on lui a appris à être fier de ses origines et à se comporter comme un sang-pur, une éducation stricte que son oncle a tenu à lui inculquer suite à la mort de son père pendant le trajet qui a mené toute la famille au Brésil. Juliet n’a même pas regardé la carte, ce qui lui fait dire qu’elle connait suffisamment les lieux pour savoir quoi prendre. Lui-même est un peu perdu, il n’a pas encore l’habitude des boissons locales, à Castelllobruxo il avait davantage l’habitude de la chicha morada plutôt que le jus de citrouille britannique. Mais il a un peu voyagé ces dernières années, alors le brésilien est prêt à tester de nouvelles saveurs. Il sait qu’ici en Ecosse, la biérraubeurre est une boisson classique que prennent les jeunes sorciers entre amis. Ce serait donc son choix.

"- Ca ne m’étonne pas, l’endroit a l’air très fréquenté. Il faudra que je revienne pour un match alors, j’aime beaucoup le quidditch, j’y joue parfois.  Et pour te répondre, je suis ici depuis la rentrée. Après mes études à Castellobruxo, j’ai voyagé, notamment en Afrique, en Australie et en Asie, pour connaître la faune et la flore locale, et maintenant je suis ici pour avoir un diplôme avant de repartir au Brésil travailler dans l’entreprise familiale. J’espère que mon accent n’empêche pas trop la compréhension. Nem sempre é fácil para mim me expressar em inglês, você tem expressões muito particulares.* Et toi, tu es d’ici ? "

*Ce n’est pas toujours facile pour moi de m’exprimer en anglais, vous avez des expressions très particulières.

Joaquin n’est pas un garçon asocial, il aime faire de nouvelles rencontres, même si ça n’a jamais été très évident venant d’une famille extrêmement protectrice depuis sa naissance, sûrement suite aux tragédies qui les avaient touché, alors quand il a l’occasion de se faire de nouveaux amis, il n’hésite pas. Ses voyages à travers les différents continents n’ont pas vraiment pu lui permettre de se faire beaucoup d’amis, alors certes il a fait quelques rencontres, mais il ne s’en lasse jamais, et pour une fois il sait qu’il restera dans ce pays plusieurs années, pas comme en Asie ou en Australie où il savait que ce serait temporaire. Et Juliet était très avenante et sympathique, alors même qu’ils se connaissaient à peine, heureusement que la botanique les avait rapprochés. Il l’écoutait ainsi avec attention.

"- L’équipe de quidditch tu dis ? Je ne sais pas si je suis assez bon dans ce sport pour intégrer une équipe, mais pourquoi pas après tout. Tu fais du quidditch aussi ou tu te contentes d’être spectatrice ?

La suite de leur échange ne peut que faire rire Joaquin, mais pas de moquerie, justement d’amusement. Il a encore du mal avec l’anglais parfois, alors certains mots portugais lui échappent, et la jeune femme lui confirme qu’elle ne comprend pas trop cette langue car elle la confond avec l’espagnol. Une erreur commune pour celles et ceux qui ne sont pas habitués à la langue latine, même si pour le brésilien la différence est majeure.

"- Au Brésil, nous ne parlons pas espagnol, mais portugais. Mais je t’apprendrai quelques phrases si tu veux, ou si tu veux voyager là-bas. Ton français est très bon, je suis d’accord, j’aime bien aussi parler français, c’est plus simple que l’anglais pour moi.

La rencontre des cultures, Joaquin avait presque l’impression d’être un étudiant étranger en échange scolaire en ce moment-même, alors même qu’il allait rester ici pendant plusieurs années si tout se passait bien. Sa curiosité est charmante. Pour sûr, Joaquin a choisi la bonne binôme de travaux pratiques.

"- Ma famille a toujours beaucoup voyagé, elle est originaire d’Espagne et ce sont mes parents qui ont décidé de partir au Brésil, même si j’ai perdu mon père avant même ma naissance. Mon oncle et ma mère veulent que je reprenne le commerce qu’ils ont lancé là-bas, je dois donc beaucoup voyager pour apprendre. Tu n’as jamais eu envie de voyager ailleurs ?

La carte est poisseuse et collante, mais rien d’étonnant pour un bar sportif comme la taverne du troll. Joaquin ne sait pas quoi prendre, il n’a pas l’habitude des boissons locales, alors il regarde un peu autour de lui pour voir ce que prennent les autres clients. Beaucoup prennent une biérraubeurre, mais Joaquin trouve qu’il est un peu tôt pour en faire de même, peut-être devrait-il faire un peu plus la fête pour s’habituer aux breuvages britanniques. La biérraubeurre semble même une sainte boisson à en voir certains les descendre comme de simples jus de goyave. Par sécurité, il décidera après Juliet, peut-être qu’elle l’inspirera, quitte à prendre un simple jus de citrouille, typiquement britannique d’ailleurs. Le maïs violet est bien meilleur. Le sport semble un bon sujet de conversations, car Juliet lui conseille de se présenter aux sélections. Joaquin l’écoutera, pas pour cette année, il est trop tard selon lui, mais peut-être l’année suivante, ça lui permettra de s’intégrer plus facilement sûrement, tant qu’il n’oublie pas ton tonique au sang de dragon, essentiel pour éviter une crise d’asthme, une maladie récurrente depuis qu’il a eu la dragoncelle étant plus jeune.

J’aime beaucoup voler, cela donne une vraie sensation de liberté, surtout en forêt près des chutes d’eau, c’est vraiment beau. Mais je dois faire attention, car je fais souvent des crises d’asthme. Mais je te promets, je tenterai ma chance. J’ai assisté à la dernière coupe du monde, pour soutenir l’équipe du Brésil bien entendu. Tu as peur sur un balai ?

Ce n’était pas le cas de Joaquin, la hauteur ne lui faisait pas peur, et les accidents non plus, il savait que les médicomages savaient faire des miracles, alors il n’avait pas peur. Sa seule crainte c’était la crise d’asthme, car alors tout pouvait devenir très dangereux pour lui. Il avait toujours sur lui une fiole au cas où le tonique n’était pas assez fort, une sorte de liquide violet dont il faut inhaler les vapeurs. Joaquin rigole, c’est son côté ouvert d’esprit, il ne se prend pas au sérieux, pudique mais sincère.

Je ne te prends pas pour une idiote, les deux langues sont très proches, vraiment.

Joaquin parle les deux langues, alors il en sait quelque chose. Même s’il parle portugais car il a grandi au Brésil, sa mère, et le reste de sa famille lui ont appris l’espagnol car c’est la langue natale de sa famille, même s’ils ont quitté l’Espagne depuis longtemps. Le brésilien aurait pu être triste, mais on ne peut pas regretter un parent que l’on n’a pas connu selon lui.

C’est un drame familial, mais je ne porte pas le deuil sur les épaules. Mon parrain a remplacé mon père en quelque sorte. Je suis un garçon un peu solitaire, rester seul ne me dérange pas même si j’aime le contact, alors voyager ça me convient. J’aime beaucoup apprendre de nouvelles choses. Et puis voyager me rend libre. J’ai une famille parfois étouffante.

Le moment de la commande arrive, et Joaquin ne sait toujours pas quoi prendre. Il panique, mais sort la seule réponse possible.

Je vais prendre comme toi, je te fais confiance. Mais attends, je vais te donner de l’argent.

La politesse, les bonnes manières, Joaquin a été éduqué dans cet esprit, même si dans la précipitation il fait tomber sa bourse, ce qui attire l’œil de certains clients, car celle-ci contient plusieurs gallions. Il n’a pas encore l’habitude de cette monnaie qu’il trouve bien lourde, et se balade constamment avec plusieurs gallions même si en général quelques mornilles suffisent.

Joaquin esquisse un sourire, il aime bien cette Juliet, elle est très naturelle. Il est vraiment content de lui avoir proposé d’être son binôme, il n’aurait pas pu faire meilleur choix. Elle commence à parler de ses frères et cousins, et en effet, il semble bien à Joaquin que les Blackthorn sont nombreux, même s’il ne les connait pas, ils font partie de ces familles qui ont de l’importance en Grande-Bretagne apparemment, comme sa propre famille est assez réputée au Brésil et même dans toute l’Amérique du Sud.

"- Il ne faut juste pas avoir peur des balais. C’est comme avec les plantes ou les animaux, si tu as peur ils le sentent et c’est fini après. Il suffit juste d’avoir confiance en ses propres capacités. Et même voler avec quelqu’un, cela te fait peur ? Un de tes frères ou cousins a déjà dû t’emmener sur son balai non ? C’est vraiment sympa. "

Joaquin, lui n’a pas cette chance. Il n’a pas de frère ni même de sœur, il est fils unique, et si cousin il a, il n’en a pas encore conscience. Au final, le brésilien est davantage là pour apprendre certains secrets de famille qu’il ne connait pas encore plutôt que de compléter ses connaissances en botanique et magizoologie. Et encore à la différence de Juliet, il a très vite appris à contrôler ses peurs. Son état de santé est fragile, et le quidditch pourrait être déconseillé en raison de son asthme et de ses quintes de toux, mais il sait qu’avec le bon tonique, il peut jouer comme n’importe quel sorcier, pas à un niveau professionnel, mais il peut se débrouiller. C’est sa nature qui est comme ça : il aime la vie. Il aime tout ce qui respire la vie : les sentiments, les émotions, il aime vivre, et voler pour lui c’est vivre. Il n’est pas de ces sorciers à faire énormément la fête, mais depuis qu’il a commencé à prendre son indépendance, il sort parfois des sentiers battus, dépassant les limites que son éducation stricte avait placé dans sa vie. Joaquin ne connait pas le passé de la jeune fille, mais s’il avait un conseil à lui donner, c’était surtout de ne jamais avoir peur et de ne jamais baisser les bras. Que ce soit pour voler ou pour autre chose.

Avant qu’ils n’aillent prendre leurs boissons au bar, Joaquin raconte un peu sa vie, c’est essentiel pour nouer de nouvelles amitiés, et il assume le côté parfois dramatique de son enfance. Nouveau sourire chez le brésilien, finalement ils ont pas mal de points communs, et cette fois c’est la famille étouffante. Il aime sa mère, ainsi que son oncle, mais il faut bien l’avouer, ils sont parfois étouffants, et il est content de voir qu’il n’est pas le seul dans cette situation.

Juliet ne veut pas le laisser payer la consommation. Il sourit et hoche la tête, la prochaine, ça sera pour lui. Ca le gêne un peu qu’elle paie pour eux deux, la politesse et même les bonnes manières auraient voulu que ce soit lui qui paie, c’est ainsi que sa mère lui avait appris les choses en tout cas. Mais il se dit que l’Ecosse doit avoir des mœurs moins strictes sur ça. Ou alors c’est juste son éducation qui était un peu ancienne. Le garçon observe avec curiosité les tasses fumantes que Juliet leur ramène. Du café à en juger par l’odeur, et une confiserie en forme de citrouille juste à côté, c’est étonnant, pour le moment Joaquin n’avait goûté que les fameuses dragées de Bertie Crochu et les chocogrenouilles, il a encore pas mal de confiseries à goûter. Il a bien plus l’habitude des brigadeiros, fait avec du chocolat magique qui réchauffe le cœur. Joaquin est curieux néanmoins, alors il goûte cette confiserie, s’apercevant qu’elle a le goût de citrouille. C’est étonnant, ça lui rappelle les tartes au potiron qu’il a déjà pu manger pour Halloween en arrivant ici.

"- Plaignons-nous alors ! Non, j’ai évité le mariage arrangé, ma mère n’est pas du tout pour ces pratiques, d’ailleurs elle m’a élevé toute seule et n’a jamais pris de mari. Alors elle me laisse me trouver la bonne personne. Ma famille est plutôt étouffante du côté des principes : mon parrain était très strict et ma mère me surprotégeait plus jeune, surtout quand j’ai été malade.  Je suis son enfant chéri, alors beaucoup d’amour mais pas de quoi être totalement libre. Et je dois respecter toutes les traditions familiales. Notamment sur l’honneur de la famille, la dignité, les devoirs envers mes ascendants et si possible me trouver une épouse sang-pur. En quoi la tienne est étouffante ? Tu m’as l’air plutôt éclose comme fille. "

Eclose, épanouie voulait dire Joaquin, mais sa maîtrise de la langue anglaise était encore approximative.

Le plaisir éprouvé pendant le vol, c’est ce qu’il y a de mieux. On devrait toujours pouvoir vivre par passion, avoir ces moments pour se libérer des contraintes matérielles.

Joaquin lui-même est l’exemple de l’affrontement entre la passion et la raison. Le quidditch n’avait pas été une évidence pour lui : son état de santé pendant sa scolarité à Castelobruxo l’avait interdit de pratiquer la moindre activité sportive, pour préserver ses bronches, mais il avait fini par vaincre ces limites, s’en affranchir pour apprécier la liberté que lui apportait le vol. Ce n’était peut-être pas commun, et même si le garçon est perclus de contradictions, il s’évade dans ces rares moments, quand il s’occupe de ses plantes, de créatures fantastiques ou qu’il vole sur un balai. Il a beau avoir grandi en Amérique du sud, il a subi la mêle éducation stricte que les fils de sang-pur ici en Europe, sa mère étant espagnole tout comme son oncle. La famille, un point commun peut-être avec la jeune femme. Tous deux semblent dans une situation parallèle, nés dans une famille trop conservatrice pour eux, mais qu’ils subissent à défaut de la fuir. De sombres pensées qui sont vite estompées par la fumée des cafés brûlants qui leur sont servis. Le brésilien attend quelques instants avant de déguster cette boisson, préférant plonger ses yeux dans le regard de Juliet tandis qu’elle parle. Son regard peut être déstabilisant, mais il n’est pas hostile au contraire, il dénote la page blanche, vierge d’expériences, qu’il est en arrivant dans ce nouveau pays. Il a évoqué les obligations qui étaient les siennes. Il ne s’en plaint pas, il sait qu’il n’a pas le choix, il est l’unique fils de la famille, on lui a enseigné que chaque sorcier avait des devoirs. La rébellion n’était pas permise dans la famille Villanueva, et Joaquin n’est pas garçon à se rebeller, il a toujours été le garçon gentil, qui respecte sa mère et son oncle, car on doit aimer sa famille. Son âme a été formatée par cette éducation, même si sous cette couche de cire bat un cœur bouillonnant et assoiffée de vie. Son regard se trouble un peu quand elle souligne son erreur linguistique. Elle n’a pas l’air de se moquer, mais Joaquin s’en veut de confondre encore certains mots. Il sourit de maladresse.

Tes parents sont si durs que ça avec toi ? Je ne sais pas ce que c’est d’être le cadet de la famille, mais tes frères et sœurs ne peuvent pas te soutenir ? Tu es en médicomagie c’est ça ? En tout cas tu ne dois pas être en botanique et magizoologie, sinon tu n’aurais pas eu cette réaction au cours avec le professeur Fraser.

Joaquin lui sourit, une petite taquinerie sans conséquence. Le brésilien comprend le poids social qu’elle subit, il le connait dans sa famille aussi, même s’il a vite remarqué qu’être un garçon ne donne pas autant d’obligations sociales. Se marier en sortant de Poudlard, c’est si jeune. Sa mère lui a déjà fait comprendre que son séjour à l’étranger pourrait être l’occasion de lui ramener una chica respectable et bien née. Mais Joaquin n’a pas encore ces projets-là en tête. Avant d’aimer une fille, il aime déjà la vie. Le garçon manque de se brûler quand il goûte au café.

C’est … original la patacitrouille dans le café quand même… tous les anglais boivent ça ?

Le goût de bonbon sucré dans le café ne le dérange pas, mais il n’en a pas l’habitude, il préfère d’ordinaire un simple café noir avec parfois un bâton de vanille à l’intérieur. Mais ce n’est pas mauvais. Juste, original.

Son sourire doux et fin est rassurant. Juliet fait partie de ces personnes qui sont capables de rassurer les autres sans dire un mot, et pour un garçon pudique comme Joaquin mais profondément amoureux du contact humain, cela représente beaucoup, vraiment beaucoup. Pour l’heure, le jeune homme était encore bien timide, peu habitué aux us et coutumes de la Grande Bretagne, mais il sentait qu’il pouvait se plaire ici, loin de sa famille. Il aime sa famille, d’une loyauté indéfectible, mais devenir indépendant a également du bon. Pourtant tout semble le ramener à sa famille, car les voilà en train de discourir à ce sujet. Parler de choses qu’il connait met le Villanueva en confiance. Les mots de Juliet sont pourtant très durs, et la sensibilité de Joaquin ne peut qu’être ébranlée. De la violence. Il est choqué. Son visage doit sûrement en témoigner, car même l’éducation la plus stricte n’a jamais réussi à cacher chez le garçon son émotivité. Cela le contrarie. Lui-même avait subi une éducation stricte, mais pas barbare.

Je vais être honnête, ma mère ou même mon oncle n’ont jamais eu cette rudesse envers moi. Certes j’ai des devoirs et des obligations, et leurs mots peuvent être rudes, mais la violence, jamais. Je ne savais pas que ça se passait comme ça ici en Grande-Bretagne…

Sourire poli de la part de Joaquin, il n’a pas encore digéré l’épisode de la violence physique et morale qu’a subi la jeune femme. Sa pudeur l’oblige à respecter cette douleur, mais son âme hurle à l’injustice. Peut-être que son propre état de santé enfant ont conduit sa famille à plus d’indulgence ? Mais il avait du mal à concevoir la normalisation d’une telle violence. Et lui n’a jamais eu de frère ou de sœur. Une autre différence notable.

Heureusement que ta fratrie t’entoure alors. C’est peut-être ce qu’il m’a manqué plus jeune pour être davantage sociable, je passais le plus clair de mon temps avec des créatures magiques ou des plantes magnifiques et dangereuses.

La compagnie des plantes, même celle des choux mordeurs de Chine ou des fleurs venimeuses, est toujours préférable à des parents violents. Sa famille était restreinte, contrairement à celle de Juliet. Il n’avait pas cette accointance, il ne connaissait pas cette chaleur humaine, et pour le coup, il aurait pu en être jaloux.

Il ne faut pas regretter, il faut juste se débarrasser de sa peur. Quand j’étais enfant, je détestais les hôpitaux, car j’y allais souvent, mais aujourd’hui je vois ça avec du recul. Avoir peur ne t’empêchera pas le danger. Si tu travailles, tu y arriveras, et puis je peux t’aider si tu veux.

La spécialité de la Taverne. Et bien soit, mais la prochaine fois Joaquin essaiera autre chose, car le goût de la patacitrouille aura vite fait de l’écoeurer.

Tu viens souvent ici à la Taverne ? c’est ici que se retrouvent les étudiants de l’université ?

L’éducation qu’a reçu Joaquin a beau avoir été très stricte, il ne pouvait mettre de côté l’amour de sa mère et même de son oncle. Peut-être qu’au fond, ce sont les drames qu’ont vécu sa famille qui ont changé un tant soi peu le rapport qu’ont les rescapés entre eux. L’amour est une donnée inconditionnelle, et Joaquin est un amoureux de l’amour, de la vie, même s’il était enfermé dans un carcan de contradictions et de traditions issues de son sang, si pur et maudit à la fois. Il s’était pourtant de se montrer aussi bavard avec la jeune femme, cela lui venait naturellement là où la nature l’avait doté d’une pudeur exclusive. Le brésilien l’écoute attentivement, elle est douce et attentive, ce sont des qualités qu’il apprécie chez les autres, elles le rassurent, comme un cocon de soie chaud et bienveillant. Il ne peut s’empêcher d’avoir un sourire naturel quand il l’écoute, même sa voix est une caresse à ses oreilles. Une rencontre excellente, grâce aux plantes, une fois encore.

Je ne connais pas très bien les familles en Grande-Bretagne, ma mère a eu tendance à me tenir éloigné des familles européennes, on a vécu de drôles d’histoire par le passé, et c’est une blessure encore ouverte pour ma famille. Être orphelin de père a eu un impact bien entendu.

Joaquin rit presque au point d’en renverser sa boisson chaude. L’amour des plantes il connait bien ça, il lui-même enfant il passait des heures à fuir le précepteur pour passer du temps avec les jardiniers et botanistes des serres familiales. Il essaie de lui expliquer avec ses mots et son accent si particulier.

Pour moi, et peut-être pour ton frère, les plantes sont plus simples à comprendre que les humains, elles ne nous jugent pas et nous rendent l’amour que nous leur donnons, comme les animaux, là où l’homme est bien trop souvent secoué d’hypocrisie, comme s’il était habité par le mauvais ange.

Bien sûr, il voulait dire l’ange déchu, ou le démon, mais il n’a pas encore assez de vocabulaire pour exprimer toutes ses idées comme il le souhaiterait. La question de l’aide en botanique étant réglée, Joaquin interroge sa nouvelle amie sur la vie ici, en Ecosse, pour les jeunes sorciers comme lui. Néanmoins, il rougit violemment quand elle parle du Rainbow. Ca l’intéresse, mais il est encore trop timide pour en parler.

Le Vampire ? Mais ce n’est pas dangereux comme endroit ? ce n’est pas vraiment un bar de vampires si ?

Inquiet, le voilà déjà qu’il porte la main à son cou, inquiet pour son sang.

Le brésilien rit ouvertement à la réponse de la jeune femme, inconscient qu’il a abordé plus tôt un sujet sensible sans le savoir. Juliet le fait rire, il comprend également ce qu’elle veut dire, mais définitivement, pour lui, il est bien plus simple justement de s’occuper d’une plante que d’entretenir une relation sociale avec un sorcier. Les plantes au moins ne mentent jamais, si elles vont mal ou n’ont pas le moral, cela se fait directement, par un jaunissement de leur feuille, une tige basse ou des tâches blanchâtres sur les feuilles. Alors que l’homme lui, par nature, a tendance à cacher ses sentiments, par convention sociale, parce que montrer ses émotions n’est pas chose aisée, et leurs familles leur ont toujours appris qu’il s’agissait d’une faiblesse. Même pour un garçon comme Joaquin qui aime la vie pour ce qu’elle est, ce n’est pas évident de montrer ses émotions, car il a grandi dans ce carcan de froideur émotionnelle que toutes les familles de sang-pur connaissent. Il ne peut s’empêcher d’ailleurs de prendre les mots de la jeune femme trop à cœur, comme s’il ne percevait pas l’ironie de ses mots.

Pourtant, il y a pas mal de monde qui s’arrosent avec de la bière. Mais les hommes mentent, cachent leurs sentiments et ne disent pas toujours la vérité. Une plante non.

Joaquin se montre bien plus attentif quand elle lui raconte ce qu’elle sait de la vie étudiante, lui qui s’y connait si peu et qui n’a jamais eu l’habitude de sortir, d’ailleurs son escapade à Londres était une véritable exception. Le jeune homme ne peut s’empêcher de rougir, sans le vouloir. Être un étudiant étranger n’est pas toujours évident.

Des vampires libertins ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

Joaquin avait beau maîtrisé relativement bien la langue de Shakespeare, certains mots continuaient à lui échapper.

Si tu veux on peut y aller oui, ça peut être chose marrante de voir un club de vampires libratins.

Joaquin a sûrement trouvé la meilleure guide, ou en tout cas la plus bienveillante, pour faire son entrée dans le monde estudiantin britannique, lui qui a si peu l’habitude de s’amuser et de vivre alors même qu’il aime la vie à l’état pur. Bien entendu, le brésilien a encore pas mal de lacunes sur les termes à utiliser ou non, et il ne manque pas de l’illustrer quand il essaie de reprendre des mots compliqués pour lui comme libertins qui devient aisément libratins. Surtout quand il s’agit d’un mot qu’il ne connait absolument pas. Pourtant, il se sent presque idiot à poser cette question car Juliet rougit brusquement, comme s’il avait abordé un sujet interdit. Ce n’est pourtant pas sa faute, il ne savait pas de quoi il parlait et il ne voulait vraiment pas mettre la jeune femme mal à l’aise. Joaquin fronce les sourcils, signe de son incompréhension. Des mœurs aux antipodes de leur éducation ? Qu’est-ce qu’un antipode ? Un cousin du gastéropode ? Non, vraiment, le jeune homme est perdu. Pourtant, elle ne perd pas espoir et essaie de lui expliquer la notion avec des termes plus simples et accessibles pour lui.

A son tour de rougir quand il comprend enfin de quoi elle parle. Lui qui est si à cheval sur les règles et la bienséance issues de son éducation très stricte, au point qu’on pourrait même le qualifier de coincé, voilà qu’il se prend à rougir dès que l’on parle de sexe.

Ha merci, je vois mieux. Si la musique est bonne, il faudra y aller, je ne sais pas danser mais j’aime bien la musique.

Une allusion que Juliet ne peut comprendre, l’une de ses premières expériences dans le milieu de la fête ayant eu lieu à Londres dans une boîte gay avec des jeunes hommes torse nu se tortillant sous une musique electro qui n’avait pas fini de déstabiliser le jeune homme bien éduqué. Les deux étudiants reprennent plusieurs boissons dans la soirée, le temps d’apprendre à se connaître. Ce soir-là, Joaquin rentre dormir avec un sourire aux lèvres, Juliet étant vraiment une lumière dans l’obscurité de l’inconnu pour lui, et il espère pouvoir la recroiser rapidement pour qu’ils puissent devenir amis. Il en a si peu ici pour le moment.